Dans un coin sombre de la bibliothèque de Citria, un hastane étudiait une carte tenue en place par des pierres. Il marmonnait discrètement, faisait plusieurs calculs en promenant son compas sur la carte et en prenant des notes dans un livre placé juste à côté et portait plus souvent qu’il ne le faudrait une bouteille de rhum à ses lèvres. Non loin, deux érudits, un élève et son maitre, l’observaient, chuchotant entre eux.
— Qui est-il? Il me semble ne jamais l’avoir vu ici, jugea l’élève. Voilà des heures qu’il passe sur sa carte.
— Je pense qu’il s’agit de Mélamor Alabar, répondit le sage. Les hommes de sa trempe ne fréquentent pas les bibliothèques habituellement. De mémoire, il se donnait le titre de capitaine puisqu’il dirigeait un navire et un équipage.
— J’ai déjà entendu ce nom. Sa mère était une gitane, mais lui, c’est un marin comme son père avant lui, n’est-ce pas?
— Un pirate, plutôt.
— Un pirate? Ne devrait-il pas avoir été jugé en extradition?
— De ce que j’ai entendu, dans ses années les plus actives, la légion a bien tenté de le mener en justice. Elle a réussi plutôt, mais ce Mélamor a vraisemblablement toujours agi selon les lois de Citria lorsqu’il se trouvait en territoire hastane et n’a jamais terni la réputation de notre empire lorsqu’il se trouvait hors de nos limites. Derrière cet homme a priori rustre, force est d’admettre qu’il y a de l’intelligence et du calcul.
— Mais que fait-il dans une bibliothèque? Pourquoi n’étudie-t-il pas sa carte sur son navire en préparant sa prochaine expédition?
— Je pense qu’il n’a plus de navire. Je pense même qu’il n’est plus en état de se battre pour le moment. Regarde. Il porte sa rapière à gauche, donc il la manie de sa main droite.
— Et alors?
— Depuis que nous l’observons, toutes les manipulations qui demandent précisions et dextérité, il les a faites de sa main gauche. J’ai l’impression que sa dernière aventure a très mal tourné. Probablement que son navire a été détruit et que lui a été gravement blessé, peut-être même laissé pour mort.
— Je vois. Probablement un combat maritime dans lequel son navire a sombré et où, dans les débris, il aurait dû se défendre contre requin après que ce dernier l’ait solidement mordu à l’épaule, s’emporta le jeune élève. Ou encore, son navire l’attirant vers le fond en coulant l’aurait amené à la noyade. Il s’en serait visiblement sorti, mais non pas sans séquelles causées par le manque d’apport en air.
— Ces spéculations ne servent strictement à rien. La vérité sur son état, lui seul la connait. J’imagine seulement que peu importe ce qu’il a vécu, ce doit être assez traumatisant pour enlever à tout homme la volonté de retourner en mer.
À ce moment, les deux érudits furent surpris de constater que leur discussion manquait de discrétion en voyant se dessiner un sourire en coin sur le visage de l’homme à l’entente de la dernière phrase.
— Ça, jamais, répondit-il simplement. Bon, messieurs, puisque vous n’avez visiblement rien de mieux à faire que de tergiverser sur mon cas, veillez à ce que personne ne touche à mes effets! J’ai besoin d’une autre bouteille.
Le pirate déposa son compas et sa plume sur la carte et se leva en accrochant le coin de la table. Il était difficile de dire si cette maladresse était causée par ses récentes blessures ou plutôt par l’ivresse, mais on put rapidement pencher pour la deuxième option en le voyant tituber jusqu’à l’extérieur. Les deux lettrés qui se retrouvaient devant les travaux succombèrent à leur curiosité. Ils allaient enfin pouvoir voir ce que cet étrange individu étudiait depuis des heures. La fameuse carte indiquait-elle un trésor ancien? La déception fut grande lorsqu’ils posèrent leurs yeux sur un parchemin entièrement vierge. Dans l’incompréhension la plus totale, les deux hommes portèrent leur attention sur le livre dont se servait le marin.
— Ce n’est qu’un livre sur l’étude des cartes… Pendant tout ce temps, il ne faisait qu’enrichir ses connaissances sur l’étude des cartes…
Sujet: Mélamor Alabar