La taverne était emplie de rire des saoulons et des voyageurs attablés.
"Vilain polisson!"
La tenancière enragée flanquait à grands gestes des coups de ses godasses au barde qui reculait vers la porte de sortie sous l'assaut.
"Vilain vilain! Hors d'ici!
— Allons aubergis-! Mais cessez cette- AIE! Mais bon sang! Ce n'était qu'une chanson.
— Une chanson horrible. Malfrat! Hors d'ici! Nous sommes respectables!"
Les rires s'élevèrent de plus belle, alors que le chansonnier se retrouva dehors, cul dans la boue, son luth cassé.
La porte claqua, signifiant que l'hospitalité des lieux était bel et bien finie.
Encore une plébéïenne choquée de ses airs lubriques. C'était dommage. Gervais Le Hardi, car c'était son nom véritable, appréciait la richesse des airs de tavernes, ceux qu'on chante entre amis loin de la bienséance. Comme il disait souvent, et comme cette fois, le derrière trempant dans la boue :
"Bah! Misère! Personne ne reconnaît la richesse de ces vers."
Le barde se releva, essuya en vain un peu de boue de sa cape puis repris le chemin, maugréant. Il regarda son luth brisé tristement et le lança dans les bois. Sa moustache longue et finement taillée volait de chaque côté de son visage; le vent était fort en cette soirée.
"Ce n'était que la chanson du maréchal! Hideuse bougresse!" hurla-t-il au vent, qui pour seule réponse apporta à son nez des relents de bière et de ragoût qu'il venait de se voir refuser.
Gervais Le Hardi était un petit hastane roux et maigre, mais doté d'un charisme évident. Sa petite carrure cachait une musculature plutôt forte quoi que peu développée, ce qui lui avait souvent valu les railleries de ses sept frères.
Fils d'un luthier et fabricant d'arcs, il était voué à cet avenir. Leur père disait souvent que Gervais était le plus doué de ses fils pour le travail du bois. Toutefois, il rêvait plutôt d'aventures et de vaillance, le nez souvent plongé dans des récits de chevalerie achetés à des marchands ambulants, dont il jalousait fortement la liberté.
Le jour de ses dix-sept années, Gervais Le Hardi fit la connaissance d'une troupe d'amuseurs publics venus acheter quelques instruments. Et le lendemain, de bon matin, il salua ses frères et leur dit simplement : "Je pars a l'aventure! Prenez soin de Père et de Mère!"
Ce fut la dernière fois que la famille Le Hardi entendit parler de son fils cadet.
Cela faisait maintenant neuf années que Gervais allait de village en village, de bourg en bourg et de taverne en taverne. Parfois accompagné d'une troupe, parfois seul, il jouait de son luth et chantait souriant à qui voulait bien l'écouter. Il devint, avec le temps, un artiste accompli. Bien que son répertoire était plus riche en chansons salées qu'amoureuses...
Cette vie de bohème lui valut bien des soucis et commença à lui peser. Et en cette nuit d'Abyss, le vent dans le visage, les moustaches au vent, le cul plein de boue, le nez tuméfié d'un coup de soulier, frigorifié et affamé, il en eut in-du-bi-ta-ble-ment MARRE.
Gervais le Hardi prit donc, décidé, la route de Citria. Il aurait bien aimé manger, boire et demeurer au chaud, mais on ne peut tout avoir, lui semblait-il.
En route il fut pourchassé par des loups, rencontra des brigands qui le détroussèrent complètement, ne lui laissant que sa nudité et fut battu par un fermier qui craignait pour la vertue de sa fille aînée; le barde nu ayant demandé pitié à la première ferme des environs.
Mais tout ceci n'eut raison de sa bonne humeur! "Que nenni"
Car Gervais Le Hardi portait bien son nom, et demain était un autre jour rempli d'aventures!
Sujet: Vilain polisson