Niryn T'sy Voltorä

Messages : 129 Date d'inscription : 07/03/2018 Age : 37

Introduction

Mon cabinet est très étroit. En vérité, il est difficile d’en faire le portrait sans qu’on la confonde avec une pissotière. Malgré ce minuscule détail, son plancher fatigué et ses murs altérés sont les insatiables témoins de sordides secrets et lourdes vérités.

Si je ne suis pas dans mon menu local, j’erre de client en client, soignant les maux et les ego. On pourrait me comparer à un mal essentiel qu’on paie copieusement pour s’assurer de son professionnalisme (mon silence vous aurez deviné).

Mes visites ne sont jamais lassantes. Je valse entre les situations les plus critiques jusqu’aux plus saugrenues. Je répare des os, je sais redémarrer un cœur et je décoince des objets insolites.

Lorsque je ne suis pas au chevet de quelqu’un, j’ai le nez dans mes recherches et dans mes tableaux. J’étudie l’anatomie de fond en comble et je me laisse peu distraire par les obstacles, disons, techniques. On dit que tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins…

Je ne suis pas la plus rieuse des personnes. Dans le vrai, je me lasse rapidement et je me satisfais de peu de choses. Bien que je sois de nature analyste, j’aime consacrer du temps à autrui et j’évite tout conflit. C’est une perte de temps à laquelle je n’ai pas le loisir de me livrer.

Citation :: Journal de bord
Le dernier souffle

L'aube caressait l'horizon du bout des doigts lorsqu'une main peu sûre d'elle cognait à ma porte. Je m’étais coulée dans une chemise de nuit longiligne, je me suis emparée d’une dague et j'ai légèrement ouvert.

Un homme aux traits anguleux se tenait debout, un capuchon recouvrant son large front. Il avait regardé autour de lui, méfiant, puis m’avait demandé de le suivre pour une affaire urgente.

Il n'était pas rare de me faire réveiller pour ce type d'affaires. D'ailleurs, la plupart des gens viennent à moi la nuit tombée. Je l’avais donc suivi vers l'extérieur de la ville, puis vers une longue maison construite en pierre et à peine éclairée par le feu de quelques bougies.

En y entrant, j’ai pu remarquer les quelques tapisseries ornant les murs. De glauques statuettes faisaient office de décoration. J’ai suivi le jeune homme jusqu’à une chambre où je découvris un homme alité. Je comprenais maintenant le but précis de ma présence.

Une dame s’avança vers moi, l’expression placide. Sans un mot, elle glissa sa main gracieuse sur la mienne et y glissa quelques pièces d’or. J’avais hoché la tête imperceptiblement, démontrant ma compréhension de ce que je devais faire.

Quand ils quittèrent la pièce, je m’étais approchée du corps frêle et je l’avais longuement observé. Je m’étais assise sur un tabouret et je le contemplais, comme on observe une oeuvre d’art.

Il avait une longue vie derrière lui et je n’ai pu m’empêcher de penser que s’il était encore en vie, c’est assurément car il était un être rusé et dominant. C’était moi qui allais alléger sa famille de sa présence maintenant indésirable.

Le vieil homme releva une seule paupière pour me dévisager. Il savait. Une lueur dans ses yeux brillait encore. À son tour, il m’observait avec déférence, comme on accepte la mort.

Je dois avouer que j’ai aimé cette partie. J’oserais même dire que ça m’a procuré un certain plaisir coupable.

Ça s’était passé lentement. Nous nous étions étudiés jusqu’à ce que son regard se ferme pour toujours, sous l’effet de mon poison doux, à la pointe de ma subtile petite lame.

Lorsque sa descendance entra dans la pièce, j’étais déjà disparue.

C’est ainsi qu’ils m’apprécient, discrète et efficace...

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Citation :: Journal de bord
Laid

J’ignore si mes mots seront à la mesure d’une telle fresque. Mon coeur s’est arrêté lorsqu’on m’a demandé de faire son portrait. Lui. Le septuagénaire dont il m’est impossible de décrire de sobre façon, car son minois n’a rien du commun.

Quand je pense à l’irritant voyage que je venais de m’offrir, matériel sous le bras! J’aurais aimé pouvoir transcrire ce récent récit avec un plaisir non avoué, mais de toute évidence, je serais sauté rapidement sur le terme plaisir. Aujourd’hui, j’ai encore du mal à cerner ce que tout cela m’a inspiré.

Je n’oserais pas vous mentir...du moins pas tout de suite, je n’ai pas à me plaindre de mon sort. Cette cocasse situation me permet de me procurer tout ce dont j’ai besoin pour fonctionner.

Je tenterai donc de faire preuve du plus de franchise possible quant à l’expression de son faciès.

Ce sont ses saillantes pommettes qui s’étaient imposées à moi en premier. Elles dessinaient un pli qui faisait office de rideau devant les deux petites billes que devaient être ses yeux.

Au centre du visage se dressait un nez aussi disgracieux que le reste. Cela m’avait évoqué une pousse de carotte, sortant de terre. Ce pif avait tellement d’amplitude qu’il était difficile de penser à autre chose. Je l’imaginais s’en servir pour compenser son manque de vision.

Sa bouche était repliée sur elle-même. C’est probablement dû au fait que son menton était...Ha. En fait, il n’avait pas de menton.

N’est-ce pas un pittoresque spécimen d’être vivant…

Malgré cette amusante péripétie, la famille est heureuse du résultat. J’imagine qu’il leur est d’une quelconque utilité pour lui tenir une si grande affection. Je peux comprendre...ou pas. J’ignore son nom et s’il est encore vivant, mais grâce à lui, je me suis procuré un excellent vin et je compte le déguster après ces quelques lignes...

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Citation :: Journal de bord
Subterfuge

Force est d’admettre que la vie à la ville sombre est tumultueuse. Malgré les apparences, on ne sait jamais sur quel pied danser. Je me fonds dans cette masse volubile avec l’aisance qu’il m’est suffisant d’offrir, prostituant mon esprit pour m’adapter aux individus qui me frôlent.

Les dernières semaines ont été notables. J’ai réintroduis mon éclectique cabinet et mes éclatants pinceaux aux desseins d’une nature que j’avais jusqu’ici soigneusement étouffée. C’est lors de mon exil en terres sauvages que j’ai pu apprivoiser cette partie de mon individualité.

Mon sang-froid sur mesure et mon apparente tranquillité dissimulent des passions dormantes et des emportements terrifiants. La souplesse féline qui m’habite frappe à grands coups dans ma poitrine alors qu’aucun muscle de mon visage ne bouge, assoupie en une rigidité ennuyante et placide.

L’arrivée de l’abyss a signé mon retour en population visible. Même si je me suis rangée derrière une physionomie calme et indifférente, j’ai laissé quelques souples allures prendre place et vivre ma brûlante existence. J’ai profité de mes voyages à l’extérieur pour méditer et entraîner mon corps maintenant affiné et mon esprit maintenant déterminé.

Mon chemin se déroule devant mes pieds plus clairement. Celui-ci sera long et patient, tel l’araignée qui attend sa proie, tapis dans son terrier.

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Citation :: Journal de bord
Les morts

La nuit, les morts me brûlent les paupières. La hantise de leur regard qui m’embrasse m’empêche de trouver le repos réparateur dont j’ai oublié la sensation. Qui eut cru que cette anxiété d’abandon ferait naître des perles de mélancolie sur la ligne de mes cils.

Ma dernière discussion avec lui était d’une froideur courtoise. Sans plus. Je la regrette. Amèrement. Je garde dans ma chair le souvenir d’une fleur qui ne s’est jamais épanouie. L’impossible rend les passions fortes et les dénouements ne sont pas souvent heureux.

Je n’oserais le dire à personne, mais ces disparus me manquent. Terriblement. Notre éducation n’est pas clémente aux émotions alors je m’étrangle dans le silence. J’accueille avec résilience l’âpreté de la solitude, nouant mes lèvres ensemble pour n’articuler que l’essentiel. Les morts me hantent et m’accompagnent. Ils parfument tous les recoins de la république en s’assurant que tout me ramène à eux.

Il n’y a que mes pinceaux qui éprouvent le rythme de mes nostalgies. Ils subissent la pression de mes doigts et écoutent chacune de mes respirations. Ils suivent le trait de mes éparses pensées et obéissent à chaque tressaillement. Ils pigmentent le fil de mes émotions enfouis, le parfait exutoire.

J’aime les morts. Ils me gardent en vie.

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Citation :: Journal de Bord
La douceur de ses paupières endormies

L’obscurité avait peint le ciel de la république. Un voile d’idées perfides planait à la cime des bâtiments muets. C’était l’un de ses soirs qui resteraient imprimés dans ma mémoire fragile, pour le reste de mes jours.

Je l’avais convié chez moi pour la première fois et il était venu. Nous avions bien dissimulé notre émoi, car nous avions simplement l’habitude de nous écrire. Quand nous nous entrecroisions dans les rues, nous troquions un sourire en coin, sans plus.

Il nécessitait bien de faire les premiers pas autrement.

Je lui avais proposé du thé, que j’avais préparé la main effrayée. Peut-être n’aimait-il pas le thé, mais il avait accepté avec grande déférence. Notre lien épistolaire durait depuis des mois et nous étions bien lucides de la tension qui animait chacune de nos lettres. Nous nous aimions.

Nous n’avions pas échangé beaucoup. Préférant nous admirer dans le silence lourd de l’endroit. Sa main était venue quérir la mienne de la même douceur qu’on cueille une fleur.

Il avait approché la tasse de thé de ses lippes, puis avant de boire m’avait franchement posé cette question : ‘Quitterez-vous tout pour moi?’. Je m’étais alors précipitée pour lui arracher la tasse des mains, peut-être dans un soubresaut d'espoir, mais il était trop tard. Il s’était éteint sans souffrance, sur cette chaise verte.

J’ai embrassé ses lèvres d’une lenteur calculée, m’imaginant une vie utopique où il aurait été mien. J’ai caressé ses paupières fermées, laissant les miennes échapper quelques larmes.

Son mariage avec une jeune femme de bonne famille était prochainement et jamais il n’y participerait. Je ne pouvais pas le permettre.

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Citation :: Journal de bord
L’artifice de Nasticia

Je ne saurais parler du temps sans évoquer les lenteurs interminables et les souvenirs flétris. Une longue vie peut être profitable sur certains aspects, mais force est d’observer qu’elle ne l’est pas toujours lorsque le rideau de la mémoire est souillé de sang. L’inéluctable constat que la médiocrité se fait reine et meurt avec elle les intentions les plus admirables.

Ce matin, je me suis éveillée avec cette curieuse sensation de ne pas être où je devais être. Cette sensibilité qui m’avait rendu service jusqu’ici portait désormais le manteau du malaise et de l’aversion. Le fiel avait saisi mes papilles et une nausée m’avait pris de revers. Cela suffisait.

Mon peuple, où est-il? De toute évidence, je ne partage pas grand-chose avec lui, si ce n’est que la couleur de ma peau et ma langue. Mon sang pur est devenu un artéfact du passé. Mes prunelles sont devenues les affligées témoin de la décadence d’un peuple autrefois fier et rusé, capable des félonies les plus chimériques.

Chose du passé.

L’espèce rare que je suis a touché à sa fin. Je me contenterai de parler de ce temps, de ses lenteurs interminables et de ses souvenirs flétris. J’observerai la longue agonie de l’époque puriste pour celle de l’immaturité et de la déchéance. Ma quête de la pureté se fera sous mes propres pas dans ce monde, ma foi plus rutilante que jamais.