[BG] Toutes dettes réglées

Messages : 341 Date d'inscription : 01/08/2019

Au milieu d'un visage ridé, deux paupières s’entrouvrent. Un regard fatigué reprend peu à peu vie. Une vieille Kardar alitée se réveille.

-Bonjour maman

Ma voix est joyeuse, guillerette. Pleine d'un entrain peut être exagéré, pour faire plaisir à la malade. Entendre ma voix fait naître un sourire radieux sur ses lèvres. Sa main tâtonne dans ma direction. Je prend sa main entre les miennes. Ses doigts sont froids au toucher, j'ai un pincement au coeur.

-Gerda ... Ma chérie ... Tu es venue me voir ? Comment vas-tu ?

-Oui maman, je suis là. Je vais bien ! J'ai une bonne nouvelle à t'annoncer !

Mes mains se resserrent autour de la sienne, un sourire éclaire mon visage.

-Je viens de sortir de chez Nesbeth & fils ... Les notaires.

Je laisse quelques secondes à ma mère le temps qu'elle se rappelle des événements et du contexte ... C'est difficile depuis l'accident. Les médicaments engourdissent son esprit. Mais au moins elle ne souffre pas

-La dette de papa est payée ! Ca y est ... Nous sommes tranquilles.

Nouveau silence.

-Tout ... comment est-ce possible ?

-J'ai payé ...

-Tout ?

-Oui ...

-Mais ... Tu n'as pas fait de bêtises au moins pour avoir cet argent ? Pas comme le petit Rolkinson ? Ses parents ont eu tellement honte !

- Mais non maman ! Tu le sais bien ... Je t'ai parlé de ... tous mes projets. Le commerce ! Les ventes !

- Le commerce ? Mais ... ma chérie, nous avons perdu la boutique depuis ... ton père ... tu le sais, non ?

Je me retiens de soupirer. Je lui avait déjà expliqué tellement de fois ... les mêmes mots ... qui peinaient à s'imprimer dans sa mémoire défaillante. J'essaye de lui expliquer. Encore. D'une voix douce, essayant de ne pas laisser transparaître mon chagrin de la voir aussi diminuée.

-Oui maman. Mais je n'ai pas besoin de la boutique. J'ai réussi à gagner de l'argent sans ça ... Un petit étal me suffit. Et j'ai de bonnes idées.

Silence méditatif de la part de la convalescente ... Je choisis de continuer. Peut-être un moyen de stimuler sa mémoire.

- J'ai ... vendu une gamme de petits noeuds pour les cheveux, ça a très bien marché au printemps. Et les petits peignes à barbe en nacre, tu te souviens ? J'ai vendu des petits pains avec des saucisses dedans et des liqueurs aux dernières fêtes. J'ai travaillé pour la taverne aussi, chaque soir que je pouvais ... Un petit boulot mais ça payait.

- Tu as fait tout ça ?

- Oui ! Et la gamme de peintures sur corps pour les Nalkiris, les soldats en bois pour les enfants, les choppes personnalisées avec couvercles en bronze ... Quand une affaire ne marchait pas, je passais à la suivante ...Tu te souviens de mon projet de racheter des casques à l'armée Hastane ... ? Je t'en avais parlé.

Ses yeux ridés se plissent, puis son visage s'éclaire.

- Les ... pots de chambre ?

- Oui ! Tu t'en souviens ! J'en ai fait des pots de chambre pour les Gorlaks. Ils ont adoré, ça a été mon gros succès !

Nous partons d'un rire joyeux à cette idée.

- Mais où trouves tu toutes ces idées Gerda ... Ton père sans doutes ... il avait beaucoup d'imagination.

- Oh tu sais ... Toutes mes idées n'ont pas été des grands succès ... Tu vois, le tricorne avec rétroviseur n'a pas trop marché chez les Nargolith ... Je pensais pourtant qu'avec leur mode de vie, voir ce qui se profilait dans leur dos pouvait les intéresser. Mais bizarrement ça n'a pas pris ...

Je pense que le marché Nargolith n'était pas prêt pour cette invention géniale ... Nous continuons de discuter un moment avec ma mère. Je suis contente, elle a l'air en forme. Je lui ai apporté de la soupe, je lui tiens compagnie comme souvent. Avant de devoir la laisser se reposer. Les choses commencent à tout doucement aller mieux pour nous. Nous avions une boutique. Papa était alchimiste ... Il travaillait dans l'arrière boutique. Maman et moi vendions au comptoir. Et j'adorais m'occuper des livres de comptes et de négocier avec les fournisseurs. On vendait surtout des cosmétiques et des petits remèdes. Savons, bougies parfumées, baumes et sirops pour la toux. L'alchimie de "tous les jours". Rarement, nous avions des commandes de poudre noire. Indispensable pour certains travaux de mine. Malheureusement ce n'est pas un travail sans risques.

Personne n'a compris comment c'est arrivé mais un jour la boutique s'est volatilisée dans une explosion. Mon père a perdu la vie ce jour là. Et ma mère sa santé. Moi j'étais absente ... Une chance sans doutes. Entre le remboursement des emprunts de mon père et le paiement pour les soins de ma mère, j'ai du me remonter les manches et travailler dur pour ramener de l'argent.

Mais aujourd'hui, ça y est. J'ai enfin fini de payer la dernière pièce que devait rembourser notre famille. Il ne me restera qu'un petit quelque chose à payer chaque semaine pour la pension de maman ... Mais ça devrait aller. Juste le temps qu'elle retrouve la forme et nous parviendront à nous remettre sur pieds.

J'ai ma licence de vente en poche, je suis pleine d'idées et prête à me retrousser les manches ! Comme disait papa "l'arbre du travail n'est jamais stérile, il finit toujours par porter ses fruits" . L'avenir m'appartiens !

Messages : 341 Date d'inscription : 01/08/2019

"- Hey Bourrique, t'as vu l'p'tite mignonette là-bas ? Vindiou, c'est du beau p'tit lot."

Hemet donna un coups de coude à son voisin de table et désigna du bout de sa choppe un attroupement à l'autre bout de la place du marché. Une joyeuse bande de Kardar en train de boire, discuter et rire, rassemblés autour d'un petit comptoir de rue. Une bande parmi laquelle, l'oeil exercé du mâle célibataire avait repéré un petit bout de jupon et lorgnait maintenant du côté de sa propriétaire, inspectant d'un oeil approbateur les rondeurs qu'il pouvait observer à la dérobée. Car des rondeurs, il y'en avait à voir. La demoiselle qui occupait le comptoir était loin d'être maigre. Baruch que tout le monde avait fini par appeler "Bourrique" en raison de son doux caractère leva à peine un œil à la remarque de son voisin. Il grommela une vague réponse.

"- Pas d'quoi s’énerver. C'est la Grisepierre."

Bourrique ne prit pas la peine de se retourner sur son tabouret. Il continua de faire obstinément face à la table, tournant le dos à la scène. Il plongea son nez dans sa choppe, plus intéressé visiblement par son contenu que par ce que voulait lui montrer son pote de beuverie.

"- La p'tite Grisepierre ... ? Greta ? Heu ... Nan. Gerda ? Ouais c'est ça."

Hemet, toujours accoudé sur la table et tourné vers l'attroupement émit un sifflement entre ses dents.

-" Mazette ! J'pensais pas qu'elle traînait encore dans l'coin. Pas d'puis que s'famille ... heu ... enfin t'vois quoi. L'père Grisepierre c'était quelqu'un."

Il jeta un regard vers Bourrique. Le bougre ne sembla pas vraiment intéressé par le sujet, il se contenta de grogner une vague approbation. Bavard pour deux, il en fallait pas plus à Hemet pour enchaîner sur le sujet.

"- En tout cas, elle a drôl'ment grandi la p'tite. Et puis quand j'dis grandi ..."

Il laissa un silence entendu s'installer. Mais au cas où le sous-entendu graveleux n'avait pas été assez clair, il crut utile de rajouter quelques secondes après.

"- ... grandi d'partout, hein ? Là d'où qu'y faut, hein ?! Har har har."

Pensant avoir fait mouche avec sa fine et virile plaisanterie il s'esclaffa et gratifia Bourrique d'un petit coup de coude entre les côtes. Mais définitivement son bougre de copain ne semblait pas d'humeur ce soir. Le rire d'Hemet ne fit pas long feu et il ne tarda pas à s’éteindre dans un toussotement un peu gêné. Il fit le tour des lieux du regard, inquiet que quelqu'un l'ait vu ou entendu. Mais non, personne n'avait fait attention aux deux compères. Incapable de garder longtemps un silence, Hemet poursuivit.

"- J'avais entendu dire qu'la famille roulait sur l'or avant. Mais qu'maintenant ils croulaient sous les dettes ... J'imagine qu'c'était qu'une rumeur, ça d'vait êt' exagéré ... "

Hemet se passa une main dans la barbe, continuant d'observer de loin l'objet de sa curiosité. Puisque son voisin s'obstinait à rester en tête à tête avec sa chopine, il égrenait ses pensées à haute voix.

"- Elle a pas l'air stressée ni aux abois. Les affaires ont l'air d'bien marcher pour elle ... Il doit rester un p'tit bout de la fortune d'sa famille quelque part, t'crois pas ? "

Bourrique leva un sourcil broussailleux et regarda en coin Hemet, lui jettant un regard clairement réprobateur.

- "Laisse tomber Hemet."

Incisif, abrupt, direct. Bourrique employait la rhétorique kardar avec brio. Ce qui n'empêcha naturellement pas son camarade de continuer.

"- Qu'je laisse tomber quoi Bourrique ? Je vois pas d'quoi tu parles ..." Court silence. " ... Et pis elle est mignonne, elle a sûrement besoin d'un vrai bonhomme pour l'aider à faire des affaires ... T'crois pas que ... ?"

- "... Laisse tomber je te dis."

Bourrique se retourna derechef vers sa table, faisant face à sa choppe avec un air boudeur. Hemet interrompit ses envolées pour regarder avec surprise son copain. Puis un air soupçonneux apparut sur visage, il plissa les yeux pendant qu'il observa Bourrique. Celui ci feint de ne s'apercevoir de rien mais son malaise fut visible. Hemet se pencha lentement vers lui et l'observa pendant de longues secondes avant de s'exclamer !

"- Boudiou ! T'as tenté ta chance avec elle !" Bourrique se rembrunit. " ... et tu t'es pris un râteau !! Har har har"

Cette fois c'est Bourrique qui asséna à son compère un coups de coude. Un rappel à l'ordre bien senti entre les côtes de son ami un poil trop perspicace.

"- Aiheu ! Heu .. Ouais pardon. Har har har. Pas d'bol !"

Bourrique jeta un regard noir au Kardar à ses côtés, qui se massait les côtes tout en contenant bien mal son rire.

"- Enfin oui ... Pas d'chance pour toi. Je comprends mieux ! Une d'perdue dix de retrouvées on dit, pas vrai ? On dit aussi qu'le malheur des uns, hein ... tu connais la suite ! Tu vas voir c'qu'un kardar plein d'classe naturelle arrive à faire."

Comme s'il se sentait soudainement pousser des ailes, Hemet frappa des deux paumes sur la table et se releva d'un bond décidé. Il passa deux fois sa main dans sa barbe pour la lisser, remonta son pantalon un bon coups et resserra ses bretelles. Pour parachever son apparence de séducteur, il lécha la paume de sa main et se lissa la tignasse une fois, aplatissant provisoirement l'épis de cheveux bouclés qui avait l'habitude de culminer au sommet de son crâne.

On ne sait pas si c'est l'effet de la bière forte et amère qu'il avait sifflée pendant une partie de la journée, si c'était la perspective de faire mieux que son infortuné compère ou si c'était l'espoir d'attirer les faveurs d'une fille qu'il supposait disposer d'un bon gros magot.

Mais en tout cas, il était décidé. Il fila droit vers l'attroupement formé autour de "la boutique Grisepierre", abandonnant là son camarade qui ne se donna pas la peine de se retourner sur son siège pour assister au spectacle.

Il fit sans doutes bien, parce qu'il ne fallut qu'une poignée de secondes, sans doutes moins d'une minute pour que Hemet revienne s'asseoir à ses côtés. Sans un mot il prit sa bière et la siffla avec le même air renfrogné et songeur qu'avait Bourrique avant de le quitter. Les deux copains laissèrent un long silence s'installer. Hemet finit par poser son coude sur la table et appuyer son menton sur son poing.

"-J'crois que j'ai merdé quelque part Bourrique ..."

Sans bien savoir exactement ni pourquoi ni comment, Hemet avait ramené à leur table un tonnelet estampillé "La bleuette Grisepierre. Bière spéciale. Format familial". Même en y réfléchissant bien, il ne savait pas comment ça s'était passé mais ... A peine avait-il balbutié quelques mots pour se présenter à elle que la marchande avait réussi à lui refourguer sa bière. Le pire c'est que sur le coups, cette pauvre pomme d'Hemet avait rien trouvé d'autre à bredouiller qu'un vague merci.

Est-ce correct de se réjouir du malheur des autres ? Bourrique n'aurait su le dire, mais en tout cas un sourire apparut au coin de ses lèvres. Il tapota l'épaule de son compère d'un air compassé..

"- Ouais ... Elle est forte, faut le reconnaître."

Il compatissait. Lui non plus ne savait pas ce qu'il allait faire de son tonnelet de bleuette acheté la veille ...

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