Sargon, Kheijan
Messages : 85 Date d'inscription : 07/08/2019
| Sujet: [BG] Icare de Lancastre Sam 23 Mai - 12:43 | |
| L'ÉTINCELLE On dit que toutes les bonnes choses ont une fin, et celle-là aussi devra finir un jour, mais nous ne serons peut-être plus là pour en voir le dénouement. Les bonnes choses n’ont toutefois pas qu’une finalité, elles doivent bien commencer à quelque part, par quelque chose ou quelqu’un. Elles ne sont pas non plus obligées d’être le fruit d’actes bons et méritants, il arrive parfois qu’elles sont issues du malheur, du désordre et du mauvais sort.
Si la lignée de Lancastre possédait autrefois des terres, les affres de la guerre les en avait privées déjà deux générations avant la présente. Ainsi, après de dures années où le commerce demeurait l’unique activité familiale, l’activité politique était récemment devenue à portée. La maison de Lancastre avait su redevenir respectée et bien en vue dans les hautes sphères de Citria. Bien que la famille ait des heures sombres suite à la guerre, les choses semblaient enfin se mettre en place pour que leur blason recouvre de son ancienne gloire.
Si, à prime abord, le patriarche de Lancastre avait été le bienvenu parmi les patriciens, la situation s’était rapidement détériorée. C’est que l’union qui devait unir le politique en devenir à une gitane faisait peu d’heureux. En effet, il était de coutume pour la noblesse de frayer avec les gens de leur rang puisqu’une alliance entre ces familles privilégiées profitait souvent à l’une et à l’autre. Mais il n’y avait pas que la nature de l’union qui choquait ; on disait de cette gitane qu’elle pratiquait une forme de magie sombre. On l’accusait bien sûr d’avoir ensorcelé son pauvre époux, mais ce n’était que la cime des accusations dont on l’accablait. Les plus courroucés l’associaient même à la magie du sang, la nécromancie.
La grogne s’était accumulée à un tel point que par une nuit froide où il faisait bon de rester chez soi, un petit groupe de nobles encolérés décida d’agir. Effrayés par l’idée qu’une nécromancienne soit en mesure de s’établir définitivement là où les fidèles de Kordaken siégeaient, ils firent rapidement courir le mot qu’une action devait être entreprise. En quelques minutes à peine, beaucoup d’autres mécontents affluèrent et les quelques rues qui entouraient la demeure de Lancastre furent bondées. Il y avait des commerçants qui associaient de mauvaises ventes à la venue du mauvais sort. Puis vinrent les paysans qui voyaient dans leurs mauvaises récoltes de cette année-là un signe évident que les cieux leur avaient tourné le dos. Même si la légion eut été à même de remettre tout ce monde à sa place, certains légionnaires venaient eux aussi à penser que tout ne tournait pas rond dernièrement. La masse agitée brandissait toutes sortes d’armes improvisées, mais on menaçait surtout de régler ce problème par le feu. Car c’est ainsi que devaient périr les hérétiques…
Si les responsables de cette horrible bêtise avaient été au parfum qu’un enfant avait vu le jour seulement quelques jours auparavant, sans doute auraient-ils entreprit de régler leurs différends autrement. Mais il n’en était rien, et ils comptaient bien voir la sorcière brûlée. En premier lieu, ils voulaient simplement se saisir de la supposée nécromancienne afin de mettre un terme à ses viles machinations, mais contrôler une foule en colère est une affaire ardue. Avant que les patriciens n’aient pu pénétrer l’édifice et mettre leur plan à exécution, on lançait torches et pierres de toute part. En un rien de temps, le feu s’était propagé à toute la résidence. Les cris de douleur et d’effroi qui émanaient maintenant de la baraque enflammée eurent tôt fait de couvrir de honte les responsables. Les flammes achevaient tranquillement leur sale besogne, toute la structure de la maisonnée s’était à présent effondrée et on ne craignait plus de revoir surgir le nom de Lancastre. Les patriciens qui étaient à la tête de la foule avaient eu ce qu’ils voulaient, cette soi-disant menace pour l’ordre établi avait été complètement écrasée. Peu leur importait la ruine qu’ils venaient de causer, car en leur for intérieur, le bien venait une fois de plus de triompher du mal. Ils commencèrent donc à délaisser le brasier, et suivit petit à petit derrière eux la masse qu’ils avaient attirée. Alors que les mécontents s’écartaient, torches, pierres et armes improvisées demeuraient çà et là, vils témoins des atrocités de la soirée. La petite colonne de fumée que l’on ne pouvait d’abord apercevoir qu’autour de la maisonnée s’étendait maintenant en un épais panache noirâtre qui éclipsait à présent la plupart des étoiles du ciel. Et de cette terrible nuit, on ne revit ni les patriciens, ni la plèbe, ni les étoiles.
À la venue du matin, il ne restait plus que le crépitement constant du bois cédant à la chaleur, jusqu’à ce que des pleurs ; ceux d’un très jeune enfant, viennent prendre le dessus sur le triste vacarme. Les coqs ne chantaient pas encore l’arrivée du jour lorsqu’une vieille carcasse courbée par l’âge fût attirée devant la résidence incendiée.
C’était un moine, l’épaisse fumée l’avait presque étouffé dans son sommeil, puis les pleurs de l’enfant l’avaient privé de ses rêves. À peine arrivé sur place, le portail autrefois fièrement dressé dans une arche de pierre s’écrasait à ses pieds, tordu par la chaleur. Là où, la veille, on trouvait une imposante bâtisse, le clerc ne voyait plus que des cendres et des braises. S’aidant de son bâton, le moine pénétra les décombres et se dirigea vers l’origine des plaintes.
Étonnement, une partie de la demeure –particulièrement une petite chambre- avait bien résisté aux assauts du feu. C’est là que le vieil homme allait trouver le chérubin qui braillait depuis quelques heures. Tout près du gamin se trouvait le corps inanimé de la mère. Elle était bien morte, mais elle n’était pas calcinée. Sa dépouille était recouverte de sang, quelque chose ou quelqu’un l’avait donc blessée mortellement avant que les flammes ne la réclame.
La malice des hommes ne connaît véritablement aucune limite. Et même si des hommes bienveillants croient que la fin justifie les moyens, il y avait en aval de tout ceci un jeune orphelin. Il serait privé de ses parents et de l’héritage de sa famille; mais d’autres vaillants veilleraient à ce qu’il ne manque de plus rien d’autre. Et même si une véritable cascade de malheurs et de malice s’était abattue sur le jeunot, il deviendrait probablement, grâce à de bonnes intentions, une meilleure personne que les auteurs de sa misère. | |
|