La quête du désert

L’astre solaire faisait sa révérence et le désert s’était endormi. Il n’y avait que le grésillement du feu et la tonalité des locustes qui se faisaient écouter. Nora était assise près du feu, jambe repliée, faisant griller une carcasse de lièvre précédemment débusqué.

Si elle était d’une nature naturellement joviale, c’est une expression soucieuse qui habitait son faciès depuis quelques heures. Elle venait de quitter son clan en quête d’un avenir propre et le départ fut mitigé et occupé de mots qui n’avaient pas été exprimés.

Elle venait d’un clan nomade du nom de Solastre, circulant d’oasis en oasis, négociant vases et draperie. Sa famille était très conservatrice et spirituelle, accordant toutes les faveurs à la clémence d’Aon et au destin qui leur était écrit.

Malgré sa nécessité d’indépendance, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer qu’elle laissait derrière des personnes qu’elle affectionnait et admirait. Elle s’était alors juré de leur rendre hommage à sa manière, en trouvant cette voie qui lui était destinée.

Son pactole était plutôt vide. Elle n’avait avec elle que ce qui était nécessaire à sa survie, ce qu’elle avait jadis connut lors de son Kas-wan. Puisque la jeune femme n’était pas d’une nature matérialiste, cette vie solitaire et nomade lui convenait parfaitement, préférant laisser derrière elle, des idées et des mémoires.

Elle s’était faufilée à travers les dunes pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que son regard trébuche sur un décor qui lui était jusqu’à ce jour seulement raconté. Najar’him la sainte, c’était donc là…

La jeune Nora avait enfin mis les pieds à Najar’him. Partout où elle posait les prunelles, de nouveaux visages et des lieux de richesse comme elle en avaient peu vu dans sa courte existence. Elle n’avait connu que la vie nomade au cours de laquelle tout le monde avait un rôle déterminant dans la petite communauté. Toute cette nouveauté lui laissait le bouleversement qu’elle était dans un monde parallèle au sien et à la fois si opposé.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction, de savoir qu’une femme pouvait troquer son statut de femme pour celui de pacha, et qui lui était possible de châtier un homme.

Ce soir-là, elle s’était retrouvée dans le désert et avait somnolé au pied d’une oasis, cogitant sur tout ce qu’elle avait vécu dans la journée et mesurant ses propres valeurs. Était-ce la sédentarité qui avait poussé certaines femmes à devenir des hommes? Une vie si convenable qu’elles pouvaient se permettre un tel engagement?

Au matin, Nora avait pris la décision de continuer de suivre les traditions précieuses qui lui avaient été enseignées par sa famille. Jamais elle ne pourrait salir ces préceptes qui rendaient ce peuple si nuancé et tout en saveur. Elle retira le sable qui s’était caché dans les plis de ses vêtements et repris le chemin vers la sainte avec la ferme intention de démystifier la raison de ce changement drastique.

Visiblement, Aon avait tracé pour elle ce chemin de réflexion et d’introspection qui lui permettrait d’avancer davantage dans sa quête d’identité.

Nora s’était engagée à défendre la région. Elle avait écouté son cœur et chaque jour, ses pieds sillonnaient le Sina’far à l’affût d’ineptie ou de potentielles difficultés. Elle ne s’adonnait pas longtemps aux plaisirs divers, campée dans son caractère solitaire et un peu indompté.

Depuis qu’elle était établie à Najar’him, ses conversations étaient presque toujours teintées de superficialité et de formules préconçues, comme si les occupants hésitaient la délivrance de la vraie pensée, celle qui décharge et qui console l’âme.

Un kheijan avait ouvert ce livre; celui de la vérité entre deux âmes. Il avait guidé Nora sur un quai, loin des oreilles fureteuses et l’avait invité à divulguer ses états et sa personnalité. Il avait été attentif avec respect et fut d’une grande sagesse, au-dessus de ce qui était attendu par quelqu’un de sa stature.

Nora découvrit quant à elle l’homme derrière le titre. Il était d’une franchise à déstabiliser les murs les plus solides. Son regard ténébreux était aiguisé. Sa nature sanguine expliquait la polarité dont sa présence émanait.

L’idée soudaine de se retrouver isolée avec lui avait bousculé ses idées les plus absolues. Les petits papillons qui s’étaient logés dans son estomac avaient-ils leur place? Aon lui avait-il passé un message à travers cette conversation? Sa destinée était-elle ce qu’elle pensait? Tant de questions alors que le pacha s’était éloigné vers ses préoccupations premières.

Si Nora n’était pas une femme qui s’appuyait sur d’utopiques espoirs, elle s’était surprise à espérer que lui aussi puisse peut-être ressentir quelque chose…mais qui était-elle pour croire qu’il pouvait s’intéresser à elle.

Le pacha Belal avait sollicité Nora pour l’accompagner au campement Daelwena. Tâche que la jeune femme avait acceptée volontiers, avide de se rendre utile à celui-ci. Bien qu’elle ne lui ait pas avoué directement, elle avait également vu l’opportunité de passer du temps avec lui. Elle comptait donc sur ce séjour pour en apprendre plus sur ses intentions et tenter de percer sa cuirasse qui le rendait si inaccessible.

Elle avait impeccablement préparé un plateau de fruits et du thé pour Ruvaen, l’hôte du séjour, se promettant de ne laisser aucun faux pli à leur visite. C’était la première fois que la jeune kheijan était favorisée pour autre chose que sa valeur d’archère et l’idée ne l’avait pas agacé.

Alors que la soirée tirait à sa fin, Nora avait lu un air différent dans les yeux du pacha. S’ils étaient habitués à s’envoyer des attentions complices, le regard qu’il arborait maintenant était occupé d’un intérêt nouveau et d’une flamme qui n’avait pas laissé la jeune femme insensible.

La soirée fut couronnée de succès, soulignée par la bonne entente de Ruvaen et de Belal, qui s’étaient promis de se revoir prochainement afin d’échanger à nouveau sur leur coutume respective. La nuit quant à elle, s’était installée et le duo du sud s’était retiré pour se reposer. Nora n’avait pas réussi à fermer l’œil, rêvassant à son voisin qui, elle espérait, pensait également à elle.

Au matin, l’archère était descendue à l’étang afin de se purifier le visage. C’est dans le reflet de l’eau qu’elle s’était aperçue que Belal était derrière sa personne et l’observait en silence. Elle s’était retournée vivement vers lui et s’était butée contre le revers de sa main qui avait effleuré sa joue d’une fine caresse.

- J’aimerais tant te combler, Nora

Le temps s’était arrêté pour la jeune femme, alors qu’elle jaugeait de son voisin d’un œil nouveau. Malgré son cœur qui battait à en faire rompre ses tempes, jamais il ne serait question de se déshonorer pour combler ses besoins.

- Je ne suis pas une vulgaire concubine, pacha.

Les jours s’étaient succédé au Sina’far et les aventures collectionnées. Le peuple élu avait connu une saison estivale mouvementée avec la sécheresse, les conflits et les deuils. À travers cette ribambelle d’événements, quelques petites douceurs s’étaient pointées dans l’âme de quelques Kheijans. Alors que certains s’éloignaient, d’autres se retrouvaient sous le couvert de l’affection.

C’est l’un des bonheurs que Nora avait trouvés, alors qu’elle s’était blessée à la jambe et avait dû s’arrêter près de l’oasis nord pour récupérer. Le soleil plombait sur sa tignasse ébène et c’est la silhouette d’une figure connue qui lui avait alors fait ombrage. Le pacha Shareef était là, armé de son sourire arrogant et de son air souple.

Toute cette complicité était peut-être née de son regard ombreux et magnétisant ou bien la paume de sa main puissante et assurée contre la ligne de son cou fragile, mais les nouveaux tourtereaux ne s’étaient plus délaissés depuis cet instant sous les palmiers, se promettant de s’unir sous le regard d’Aon.

Nora s’était préparée à l’idée du mariage. Elle savait ce qu’Aon attendait d’elle et ce chemin, elle l’entamait avec retenue. La vie auprès du pacha, devenu Akh’Pacha, n’était pas aussi facile qu’il lui avait semblé au tout début. Il demeurait énigmatique, occupé et dans ses pensées. De son côté, Nora demeurait un peu farouche et indépendante, évitant les échanges trop profonds ou du moins, ce qui s’en approchait.

De toute évidence, les deux kheijans s’apprivoisaient encore, resserrant le lien qui les liait désormais. S’il cherchait sans cesse le contact de sa peau, elle cherchait quant à elle le chemin vers son esprit et son cœur, avide d’y laisser une empreinte indélébile.

Jamais il ne détournerait le regard d’elle.