Sujet: [BG] Keldo, votre sorcière bien aimée Ven 17 Juil - 9:28
Spoiler:
Les événements ne sont pas racontés de manière chronologique. C'est plus des anecdotes sur l'histoire de Keldo relatées de manière un peu décousue. Un peu comme si c'était des ruminations.
Jopierre De Longravin finissait sa choppe dans une petite auberge miteuse de la Basse Ville de Citria, ou plutôt le "Quartier Portuaire" comme ses habitants préféraient l'appeler. Cependant, il ne fallait pas se leurrer ; cet autre nom n'était là que pour donner un éclat bien fade à un joyau depuis bien trop longtemps gangrené par la rouille et la décrépitude. Ses habitants se louvoyaient dans la fange et les immondices, que ce soit celles qui traînaient çà et là dans la rue, ou celles qui portaient atteinte à leurs mœurs. Jopierre avait une petite préférence pour ce quartier que pour la Haute. Au moins, les gens ici savaient s'amuser. Peut-être parce qu'ils vivaient tous ou presque sous la menace d'une morsure malchanceuse d'un rat pestiféré ou d'autres choses moins reluisantes... L'idée d'un danger aussi absurde que spontané avait tendance à désinhiber et poussait certains à vivre au jour le jour, ce que Sieur de Longravin appréciait tout particulièrement, une bande de bons vivants "à la bonne franquette" comme il aimait les appeler.
Et une bonne vivante, il venait d'en trouver une. Particulièrement bonne, comme pouvaient en témoigner les quatre choppes de bière vides étalées sur la table devant elle. La cinquième, elle était en train de la finir goulûment comme un agneau tirant sur le pis de sa mère avec dévotion. Jopierre avait du mal à croire qu'elle sortait d'un monastère vu sa manière d'ingurgiter autant d'alcool en si peu de temps... Et pourtant, elle avait parfois des manières qui trahissaient une éducation très stricte qu'une jeune fille de la très haute société hastane promise à un grand avenir aurait pu recevoir. Il attendit alors qu'elle termine d'apaiser sa soif d'ogre pour l'interroger sur son récit des plus ésotériques et surprenants. Jopierre adorait apprendre des gens et cette jeune fille... Était pour le moins intrigante. Pour ne pas dire carrément étrange.
- Vous étiez donc bloquée dans cette petite bourgade, avec un alchimiste Kardar et une courtière Nargolith... Et le tout encerclé de Gorlaks qui ne voulaient partir qu'à condition qu'on leur donne un hastane... ?
La jeune fille finit sa choppe d'une traite et fit signe au tavernier qu'elle en reprendrait bien une autre. Ce dernier, avec un peu d'hésitation, accepta de lui en servir une sixième avec une expression concernée pour sa santé sur le visage. Elle répondit ensuite.
- Un cul rose, oui.
- Et si vous êtes là, c'est que vous vous en êtes sortie, je présume.
- Votre perspicacité est désarmante, vous n'êtes pas un haut fonctionnaire pour rien...
Jopierre sourit au compliment, heureux de voir que même en Basse, on saluait son intelligence et sa vivacité d'esprit. Décidément, ces gens étaient d'une compagnie des plus agréable.
- Mais... Comment ?
La sixième bière fut terminée avec une vitesse préoccupante. La jeune hastane semblait bien experte dans les arts distingués et ô combien exigeants de la beuverie. Si bien que l'état de son foie devait faire peur...
- Les Gorlaks voulaient un esclave "cul-rose". La Nargolith avait essayé de négocier secrètement avec les autres habitants du village pour me livrer à eux. Apparemment, ma descente d'alcool n'était pas une qualité pour tout le monde.
- Et le kardar ?
- Il dormait. Il testait un somnifère.
- Vous étiez dans une situation des plus périlleuses alors...
La jeune hastane hocha vivement la tête, faisant balancer ses mèches noires un peu partout devant son visage. Avant de répondre, elle vint replacer doucement une mèche rebelle derrière son oreille. Cette dernière ne voulait pas coopérer et revint instantanément devant ses yeux. Ce fut avec un regard circonspect pour l'avatar de sa révolte capillaire qu'elle répondit.
- Et puis vous voyez ma condition. Une frêle petite mage, innocente et fragile, sans force... Je n'aurais jamais pu résister à une troupe de Gorlaks acharnés... C'est pour ça que j'ai dû faire usage de ruse. J'ai défié la Nargolith en duel de boisson en lui disant que quitte à partir avec une vie d'esclavage, autant partir avec la satisfaction de l'avoir battue à quelque chose. Et cette abrutie a accepté. Elle ne s'attendait pas à ce que deux flacons du somnifère du Kardar soient versés dans son verre à son insu. Elle est tombée comme une pomme et je l'ai traînée dehors, dans une cour déserte. Là, je lui ai pris ses affaires et l'ai laissée complètement à poil au soleil. Sa peau a viré à un beau vermeil, puis le tout s'est atténué en donnant une belle couleur crème. On aurait presque pu la confondre avec une hastane... C'est là que j'ai échangé mes fringues avec les siennes. Je l'ai livrée aux Gorlaks et j'ai pu repartir tranquillement. La légende raconte que le Kardar dort encore à ce jour...
Jopierre De Longravin cligna vivement des yeux un moment, abasourdi par la simplicité avec laquelle elle était venue avec une réponse à cette situation bien épineuse... Il s'enquit alors de quelques menus détails sur l'histoire en question et son interlocutrice lui revenait toujours avec des réponses bien simples qui semblaient être l'évidence même. Quelques heures plus tard, il se saluèrent et Jopierre quitta la taverne souriant, très heureux et satisfait d'avoir fait cette rencontre extraordinaire. Il commença à retourner vers la Haute et, sur le pont qui séparait le Quartier Portuaire de la Basse, eut une sorte d'éclair de lucidité. Cette histoire qu'elle lui avait racontée... C'était quelque chose qu'il avait entendu ! C'était une chanson, même ! La Nargolith bronzée qu'elle s'appelait... Il fut alors un peu déçu de s'être fait embobiner comme cela et écarquilla les yeux de stupeur en portant une main à sa ceinture.
- Par Kordaken ! Mais quelle...
On ne sut pas quelle insulte fut proférée à l'encontre de Keldo. Ce que l'on sait par contre, c'est que cette dernière s'était vue enrichie d'une bourse bien pleine et d'une nouvelle dague sertie à la fin de cette soirée bien remplie, et ça, en toute insouciance.
Dernière édition par Keldo Vortel le Lun 20 Juil - 19:43, édité 1 fois
Compte à suprimer et Astrid, Nalkiri aiment ce message
Keldo Vortel
Messages : 70 Date d'inscription : 22/06/2020
Sujet: La ravageuse de viers Lun 20 Juil - 19:06
Alors que les premiers jours de la saison des abysses pointaient, les voyageurs passaient plus de temps dans les auberges d'étape. Les nuits étaient plus longues et leur fraîcheur, était moins intense mais plus saisissante que celles de l'hiver. Tous s'étaient rassemblés pour un soir spécial dans la taverne du coin : la venue d'un barde de terres lointaines dont on disait ne jamais flétrir. Ce rayon de soleil éphémère allait permettre à bien des gens de garder un bon souvenir pour passer cette période éprouvante. Les peuples de la lumière avaient du mal à voir des flaques de sang, des cranes et autre éléments de ce genre en dehors de leurs places habituelles : dans de jolis corps roses, verts ou rouges et pas au dehors. L'intervention d'un troubadour réputé et jovial, peut-être même espiègle était donc la bienvenue.
Morlan De JoliBastide était arrivé un peu tardivement aux abords de l'auberge battue par un vent tonitruant. Il avait rendez-vous avec une sublime jeune femme rencontrée quelques temps plus tôt sur les quais de Citria, matelote d'un navire qui venait d'accoster en ville. Quelle chance, pensait Morlan, il allait enfin rencontrer l'amour de sa vie, une aventurière sans malice et franche comme ce vent à décorner les bœufs contre lequel il se battait depuis quelques temps déjà... Tout lui disait qu'il allait passer une nuit mémorable, il en était certain. Les petits flocons épars battaient ses tempes rougies par le froid. La saison était certes plus douce, mais ce n'était pas pour autant que l'hiver était déjà parti. Ce dernier avait même du mal à quitter les terres où il s'était installé, laissant parfois des étendues de neige aux endroits où il avait passé quelques unes de ses dernières nuits. L'Hastane passa fièrement la porte de l'auberge, pas fâché d'être sorti de ce cataclysme en seul morceau ; Morlan pouvait avoir une conception assez dramatique de sa vie. Il fut alors surpris de voir que le barde qui se produisait ce soir était en fait une barde, qu'elle venait d'Hastanie et qu'elle était terriblement jeune. Ses cheveux de jais lui donnaient une allure mystérieuse, sublimée par ses deux yeux d'un bleu sombre. Elle devait être une véritable prodige pour avoir une telle réputation à son âge ! À peine sortie de la quinzaine et la voilà en tournée dans toutes les Landes... Un habitant local lui grommela sans ménagement de fermer la porte car il "n'avait pas envie d'attraper d'engelures à ses parties délicates", ce à quoi Morlan répondit avec politesse par un signe de tête en s'exécutant prestement. Il retira ses gants, bercé par la voix de la barde et s'en alla s'asseoir à une table de libre, cherchant des yeux sa belle dulcinée ; tout ce qu'il voyait était une salle remplie d'hommes barbus et fort bien bâtis de tailles variables. Et quelques uns à l'air androgyne. Peut-être son amante en devenir était-elle en retard ? Ou peut-être passait-elle du temps avec un tenancier d'auberge polisson ? En tout cas, cela lui laissait plus de temps pour écouter les chansons de la troubadour dont le luth magnifique ne faisait que sublimer le doux timbre de ses notes vocales. Une choppe... Non trois choppes plus tard, elle fit une petite série de notes hasardeuses sur son luth.
- « Ah, il est un peu désaccordé...» Elle joua un peu des vis sur le haut du manche avec un haussement de sourcil. «Ouais, ça devrait le faire...».
Elle donna alors un coup de patte sur les cordes, émettant un son à l'harmonie douteuse que personne n'aurait su déceler vu les vapeurs d'alcool qui s'échappaient de tous les pores de leur peau. La jeune hastane aux cheveux noirs se racla la gorge et vint replacer une mèche rebelle derrière son oreille. Cette dernière, toujours aussi farouche, refusa d'obtempérer et ce fut après un long et lourd soupir d'exaspération qu'elle entonna les premières notes de sa chanson ; dont les accords ressemblaient à s'y méprendre à la balade de "Gérard Le Magicien".
« Quand une maline mage Croisa le chemin D'un barde coquin Ce refrain lui vint...
Le barde fut charmé, Par ses atours apâté, Ses yeux de saphirs, Et son timbre de lyre... Wo-oh
Elle s'en prit à moi, Avec sauvagerie ! Soutira mon luth Et mes bourses aussi !
Ma postérité, A jamais écrasée. Cette vile sorcière Sur scène se donnait...
Jette un sou à la sorcière, Repousse les pervers, Échappe au cimetière Oh-Oh-Oh
Jette un sou à la sorcière, La ravageuse de viers-ers-eeeeeeers...»
La chanson se termina d'un simple coup sur les cordes dont le son vint accompagner la dernière note en suspens. Ce vestige de la chanson ne resta pas longtemps dans l'air. Non pas parce qu'il fut interrompu par une pluie d'applaudissement, mais parce que quelqu'un venait d'enfoncer la porte. Un blondinet un peu grassouillet, gâté par la vie et dont la moustache rebroussée et soignée témoignait qu'il avait du temps à accorder à sa toilette pour paraître impeccable : un barde. Son pantalon était manquant et ses deux mains étaient portées à son entrejambe. N'importe qui aurait pu deviner le mal qui l'affligeait vu la couleur de son visage : un beau pourpre tirant presque sur le violacé. Ce pauvre hère avait reçu un coup mémorable dans ses bijoux les plus précieux et son doigt pointé vers la jeune fille sur scène en indiquait la coupable. D'une voix anormalement aiguë, il s'exprima comme il put avec ce qui lui restait de contenance (c'est-à-dire pas grand chose).
- « Cette... Peste... Keldo... Mon lute... Mes...» Un grognement d'agonie, de colère et teinté d'une pincée de frustration vint conclure sa prise de parole ô combien remarquable.
Ni une, ni deux, l'imposteuse jeta le luth au milieu de la foule. Cette dernière, trop occupée à compatir ou se moquer du barde usurpé ne vit pas le précieux instrument se atterrir avec la même délicatesse qu'une vache lâchée du haut d'une tour de plusieurs pieds : il éclata au sol. L'agitation fut telle que plus personne ne sut quoi faire sur le moment et délaissa le pauvre troubadour blond à gémir par terre, se tenant toujours les délicats rognons. Lorsqu'ils tournèrent l'attention vers la scène, ils ne virent qu'un tabouret vide. Morlan fut tout émoustillé par cette aventure. Que de rebondissements dans cette soirée dantesque ! Il déchanta assez vite quand il aperçut la barde passer en vitesse à son côté et bousculer l'attroupement qui s'était accumulé à l'entrée de l'établissement. Elle disparut dans les ombres de la nuit, à l'orée de la forêt après avoir allègrement piétiné une seconde fois les roubignoles de ce barde qui semblait être le protagoniste de la chanson.
Morlan De JoliBastide, satisfait de sa soirée commanda une bière à la tenancière qui semblait peu impressionnée. Elle avait dû en voir d'autre dans cette taverne qui rassemblait tout types de profil. Il porta la main à sa ceinture pour en saisir ses pièces afin de payer et fut décontenancé lorsqu'il constata l'évidence.
- « Mais... Ma bourse ... ? »
Keldo Vortel
Messages : 70 Date d'inscription : 22/06/2020
Sujet: Une nuit mémorable Lun 10 Aoû - 0:38
Les arbres défilaient le long de la route, leurs feuillages jouant aux ombres chinoises sous l'effet du vent devant la lune. Endicia, la seule visible cette nuit-là et annonciatrice de mauvais augures. L'évêque qui galopait sur son cheval avait tout de suite rappliqué lorsque le messager était venu le quérir alors qu'il était encore couvert de mousse de rasage. Il lui en restait d'ailleurs encore un peu sur le coin de l'oreille. Pas très rigoureux cet évêque. Le message était simple : une membre de la Haute Noblesse de Citria demandait son assistance d'urgence. La femme étant une très bonne amie, l'homme d'église ne s'était pas fait prier (ce qui est assez cocasse) pour accourir à son aide. Les nuits comme celles-ci, seulement illuminées par la sombre silhouette de l'astre menaçant, apportaient généralement leur lot de maléfices et malheurs.
Les nuits d'Été étaient généralement lieux de fêtes dans les bourgades Hastanes. Bercées par la douceur de la saison, les gens sortaient plus souvent de chez eux pour profiter au maximum de la fraîcheur du temps. Personne n'osait sortir cette nuit-là, toutefois. En premier lieu à cause de la lune, mais aussi et surtout car toute l'atmosphère semblait lourde et pesante. Des sortes de flocons grisâtres semblaient tomber du ciel par moments et, au lieu de fondre lorsqu'il rencontraient un obstacle, venaient à être réduits en une fine poussière balayée par le vent. Le volcan au Sud de Citria avait décidé de se réveiller pour rappeler à tous que le contenu de son ventre pouvait à tout moment avaler les Landes dans des flots enflammés. Une neige cendrée, une seule lune pour astre visible... A n'en pas douter, ce serait une nuit mémorable.
L'évêque parvint aux portes de Citria et prit le risque de recevoir une amende en continuant sa route à cheval dans les rues. La Légion était assez laxiste sur ce point et cela était suffisant pour que l'évêque ne s'en inquiète pas. Il fallait en profiter tant que cela durait. Le galop de la bête le mena assez vite à la demeure de ladite femme requérant son secours. Il fut accueilli par quelques servants paniqués qui le menèrent jusqu'à la chambre de la propriétaire et qui l'y laissèrent. Apparemment, personne n'était autorisé à entrer dans la pièce à part l'homme saint. Quand il entra, le spectacle qu'il vit devant ses yeux manqua de le faire vomir. La femme était allongée sur le lit, fiévreuse et maculant les draps de son sang. Entre ses jambes se trouvait une enfant dont le calme détonnait avec le reste de la scène. Il ne fallut pas longtemps à l'évêque pour comprendre que l'enfant qui gisait sur le lit entre les jambes de sa mère était une engeance illégitime. Sinon pourquoi l'appeler lui et garder les servants au dehors ? D'autant plus que la femme n'était toujours pas mariée malgré tous les prétendants qui se battaient pour elle. On parlait même d'organiser un tournoi pour remporter sa main... L'évêque appliqua les premiers soins, prenant soin de nettoyer l'enfant et s'assurant que la mère tienne au moins assez longtemps pour répondre à ses questions. Bien qu'elle soit une amie de longue date, il fallait s'assurer que l'histoire ne soit pas plus hérétique qu'elle ne l'était déjà. Vint alors la question fatidique, celle qui allait mettre le feu aux poudres : la question du père. Le saint homme imaginait que l'enfant était le fruit d'une relation d'un soir, ou pire, d'un viol. Mais il ne s'attendait pas vraiment à ce que la femme lui annonça. L'enfant qu'il tenait entre les mains était le fruit d'un inceste. Un frère et une soeur partageant les mêmes sentiments, la même couche et dont le pêché avait accumulé tant de maux qu'il avait donné naissance à un être vicié et probablement déjà corrompu avant d'avoir vécu ses premières heures. L'évêque aurait préféré voir cette enfant mort-née plutôt que de voir un tel sort imposé à un être si fragile et si frêle. Même pour un nourrisson, le bébé semblait extrêmement fragile et faiblard, si bien qu'on pouvait presque voir à travers à la lueur des bougies.
Les soigneurs furent appelés de longues minutes plus tard alors que le représentant de la Foi s'était éclipsé avec l'enfant, selon les dernières volontés de la mère. Il paya l'amende pour avoir monté son cheval dans l'enceinte de la Cité et galopa jusqu'à des monts éloignés vers un monastère de Kordaken reclus. La Mère Supérieure avait grand soin de recueillir tous les enfants indésirés, indésirables et malformés. Une autre, ce soir-là, venait s'ajouter au nombre : une enfant de mauvais augure.
Keldo Vortel
Messages : 70 Date d'inscription : 22/06/2020
Sujet: L'Échec Mer 26 Aoû - 10:38
Elle entrouvrit les yeux, judicieusement étalée dans un repli de la falaise, en face de l'autel aux multiples entités magiques autrefois paisibles. Comment en était-elle arrivée là ? Tout était sans-dessus dessous, les différents nuages d'étincelles multicolores s'éparpillaient en tous sens, brusqués par la déflagration d'énergie survenue plus tôt. La déflagration, voilà. C'était ça qui l'avait projetée contre la paroi pendant le rituel, alors que tout semblait se dérouler comme prévu. Des mages, de la méditation... Qu'est-ce qui avait pu causer ce lamentable échec ?
La jeune mage parvint à redresser la tête, tournant son visage maculé de poussière vers l'autel où elle se tenait précédemment. Elle ne parvenait pas à se débarrasser du goût ferreux qu'elle avait dans la bouche, apporté par une source vermeille traversant sa face depuis son arcade. Un liquide poisseux lui recouvrant les habits, les mains, le corps. Tous les sons étaient étouffés, des crépitements magiques sur la petite péninsule, passant par les cris alarmés de ses comparses jusqu'aux bruissements incessants et toujours plus forts de la jungle. Des dizaines de soldats imposants et agressifs arborant tous le même uniforme s'approchèrent d'un pas vif mais furent néanmoins repoussés sous les yeux médusés de la mage - si tant est qu'elle pouvait encore être appelée ainsi.
Elle parvint à descendre tant bien que mal, sa désescalade ressemblant plus à une chute incontrôlée à l'atterrissage approximatif qu'autre chose et se dirigea vers l'autel, chancelante. Son arcade fuyait encore et une vive douleur à son flanc rendait sa progression difficile. Elle ne pouvait accepter que le rituel échoue, elle ne pouvait accepter que tout ça fut réalisé en vain à cause d'une stupide erreur. Tant de préparation pour ça ? Juste pour ça ? Elle clopina jusqu'aux marches où elle saisit sa dague et s'entailla profondément la paume, espérant pouvoir au moins raviver les braises du rituel avec l'expression la plus brute et pure de son pouvoir. Toujours rien, si ce n'est qu'un grand Drakan, imposant par sa taille et sa posture vint se présenter devant elle. De la même manière qu'elle sentait le sang s'échapper de sa main, elle sentait tout le pouvoir investi dans le rituel s'en aller vers cette forme ailée imposante. Elle constatait de ses yeux le pouvoir draconique légué par la dragonne s'enfuir et être captée par quelqu'un qui n'avait rien fait pour le mériter à part trouver un bouquin en haut d'une montagne. Keldo voulut hurler, incendier cette figure abjecte en face d'elle, la réduire en poussière mais rien n'y fit. Sans ce pouvoir, sans la rage draconique qui pouvait accompagner ses sorts, elle n'était qu'une mage comme les autres, incompétente. Cette incompétence qu'elle se targuait de révéler chez les autres, la voilà qui en était affligée et qui en était même l'incarnation. Elle avait laissé s'enfuir le pouvoir que la dragonne lui avait précieusement confié. La seule entité digne de ce nom à lui faire une confiance aveugle, et la voilà qu'elle la trahissait d'une certaine manière.
Un échec qui coûterait cher à beaucoup ; Hastanes, Gorlaks, Nargoliths, Drakans, Nalkiris, Daelwenas, Kheijanns, Kardars et sûrement même Mortanyss. Elle avait livré la dragonne au culte, elle l'avait livrée au Yokai et au Kage. Celui-là même qui avait su la tromper si aisément d'une simple diversion. L'Insouciante, elle portait bien son titre : elle n'avait eu de cesse de n'avoir aucun souci pour ceux qui l'entouraient. En fait, très rares étaient ceux qui pouvaient prétendre à ce privilège tant la jeune mage était peu démonstrative en ce qui concernait les sentiments sincères et positifs. Le rituel avait que nulle n'éprouve de sentiments négatifs pour fonctionner, mais par sa simple présence, sa simple existence, Keldo l'avait mit en péril et avait sûrement été la cause de son échec.
Elle qui croyait qu'elle pouvait avoir confiance en ses compétences à défaut d'avoir confiance en la personne qu'elle incarnait. Elle n'était pas meilleure que les autres en fin de compte. Elle était pire.
Compte à suprimer, Turin ForgSlim, Kardar, Richcoeur, Hastane et Sélène d'Ortans aiment ce message
Keldo Vortel
Messages : 70 Date d'inscription : 22/06/2020
Sujet: La fin... ? Dim 13 Sep - 18:36
Le terreau était bêtement étendu au sol entre les éclats d'argile et les pétales de géranium étalés çà et là. Un coup de pied rageur était venu perturber la carrière pleine de promesse de ce mobilier de rue dont les efforts donnés pour sa création s'étaient révélés vains. En effet, une jeune fille, trop impulsive et impétueuse pour son propre bien et celui de son entourage s'était adonné à détruire ce pot innocent. Juste un pot posé là, supposé décorer, façonné à la main par un ouvrier, qui, fier de son ouvrage ou le considérant suffisamment beau pour l'espace public, avait décidé de l'honorer d'une splendide fleur aux pétales roses. Il y avait-il seulement plus inintéressant qu'un géranium comme fleur ? Une plante encore plus insignifiante ? C'était bien d'efforts mis en place pour mettre en valeur un être aussi dénué d'intérêt. Comme si on lui donnait le potentiel, l'écrin et le support pour briller mais qu'elle était fondamentalement incapable de sublimer tous ces efforts abstraits en une véritable énergie concrète, avec un investissement personnel.
Le fait que Keldo ait piétiné ce pot d'argile finement taillé avec en son sein une fleur à l'identité aussi peu reluisante était assez ironique. Qui était vraiment le plus insignifiant dans cette situation ? La plante qui vient décorer un mobilier public ou la jeune femme qui le détruit parce qu'elle a une très faible tolérance à la frustration ? Même si la réponse était évidente, Keldo préférait la refouler. Ces dernières semaines, tout lui rappelait ses échecs, ses erreurs, comme si elle en faisait pour la première fois. Une éducation à toujours réussir, mais jamais à échouer, à ne jamais être confrontée à un obstacle infranchissable car elle n'établissait pas les conditions. Jusqu'ici, elle n'avait joué que selon ses propres règles, avait toujours réussi à contourner deux ou trois principes avec une moralité flexible pour tordre les arrangements dans un sens qui faisait son bonheur. Quand on ne vit que pour la survie, entrer dans un monde où cette dernière est un mythe lointain est comme incarner un personnage principal d'une pièce inconnue tout en ayant oublié le texte. Keldo s'efforçait à jouer le rôle qu'on attendait d'elle pour survivre dans un monde qui aurait pu vouloir d'elle, mais pas de ce qu'elle incarnait. La dure réalité s'était imposée à elle en fracassant ce filtre flou par lequel elle tentait d'administrer ses gestes aveugles. Et il avait fallu la destruction d'un pauvre pot de géranium pour cela.
Elle avait toujours erré sans trop savoir où aller, mais maintenant qu'elle était entrée dans la cour des grands, il fallait qu'elle se fasse une raison : elle n'était plus une victime de l'injustice, elle se créait sa propre injustice pour s'épuiser à la combattre, un bien étrange but dans la vie. Vaincre les démons qui nous poursuivent est une tâche tout à fait louable, elle devient pitoyable quand les démons qui nous poursuivent sont factices, créés de toute pièces par l'illusion d'être en guerre contre le monde. Elle qui ne venait de rien, avait passé sa vie à fuir, ne pouvait avancer. Elle ne faisait que des tours, des détours, à reculons ou de côté, peut-être par peur de l'échec justement. Il fallait aller de l'avant, vers la défaite ou vers la victoire peut-être, mais toujours de l'avant ; jamais en arrière. Mais pour mieux aller de l'avant, il fallait parfois prendre appui derrière, histoire d'avoir une posture plus stable et assurée. Elle n'était personne, on lui avait dit être venue de rien une nuit d'Endicia, comme quoi elle n'était pas désirée par ses parents, comme quoi elle était un "enfant de mauvais augure", comme quoi sa seule utilité serait peut-être dans la mort pour donner naissance à l'enfant dont elle n'avait pas voulu.
Elle voyait les choses différemment maintenant : tout cela n'avait été qu'une fuite continue de responsabilités. Aleksen Vulpinar cherchant à en faire un pilier de l'Unicat qu'elle avait fui. L'enfant qu'elle portait qu'elle avait fui en le donnant à un prêtre de Derna... Même en prétextant la naïveté de son âge, l'acte en lui-même lui laissait toujours un goût amer dans la bouche. Quatre années s'étaient passées depuis cette semaine enfermée à se faire charcuter par un nécromancien. Un homme lui promettant de la débarrasser de l'être qu'elle portait en son giron à condition qu'elle ne pose aucune question de ce qu'il allait advenir de lui. Keldo avait naïvement pensé à cette époque qu'il serait juste tué et que ça valait mieux que de le livrer à une Mère Supérieure qui allait s'adonner à toutes sortes d'expériences douteuses sur lui pour en faire une arme ou un être magiquement "parfait". Ce choix était un moindre mal contre un plus grand mal... Mais peut-être aurait-elle dû refuser de choisir. Pendant un temps, elle maudit celle qui l'avait mise au monde, celle qui avait été la cause de tant de malheur. Quelque chose avait dû forcément attiser les foudres de Kordaken pour qu'elle soit maudite à ce point. Quelque chose vint cependant la troubler : elle avait été éduquée pour avoir une discipline très stricte et ces manières s'étaient imposées à elle lors de la soirée organisée en l'honneur des héros de l'empire. La posture droite, la mine apaisée, les mains jointes avec distinction... Elle jeta un regard à la bibliothèque de la Haute, son dernier étage plus particulièrement. Celui où seules quelques lucarnes laissaient entrevoir la pâle clarté des bougies usées : la salle des registres.
Elle gravit les marches de l'établissement jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus monter - la route était barrée par une trappe verrouillée dont la simple existence interdisait toute visite. Keldo étudia un instant la trappe, la hauteur du plafond et avec une moue peu convaincue, alla vers le balcon. Ce dernier donnait sur toute la ville qui s'endormait peu à peu avec l'avancée de la nuit. Son attention se porta sur une part du mur bardé de plans de bois alvéolés où un lierre grimpant s'était établi. Une échelle de fortune en somme. Elle posa un genou sur la rambarde de marbre ciselé du balcon et ramena son pied à plat à côté, les deux mains de part et d'autre de la construction. Elle vint se redresser alors et commença l'ascension. Une description haletante de cette escalade aurait été bienvenue mais les constructions Hastanes étant solides et la jeune mage étant agile, le tout se déroula sans accroc. La chance semblait sourire à notre protagoniste qui trouva une lucarne judicieusement ouverte juste au dessus de la dernière corniche qui lui permit de se hisser à l'intérieure de l'antre du savoir interdit. Elle saisit une torche au mur, se servit de la flamme vacillante d'une chandelle vivant ses derniers instants pour l'allumer et alla parcourir les registres. Naissances, mariages, infractions, livres de comptes archivés, recensements des montures et même le registre du nombre de fenêtres par habitation (bien que ce dernier était bien peu pertinent à sa quête). Elle parvint à retracer la fameuse nuit "neigeuse" de sa naissance, découvrant ainsi la date exacte de cette dernière. En effet, cette fameuse neige était en fait les cendres du volcan au sud qui avait décidé de cracher un coup ce que ses entrailles incandescentes cachaient. Les registres avaient tous la même similitude aux pages de cette date-là : il n'y avait rien, ou presque. Le recensement du marché de ce jour-là faisait état d'une population particulièrement réduite, décrivant même les produits en vente se recouvrant d'une fine couche grisâtre. Rien de bien particulier, aucun nom, aucun fait intéressant à part une amende administrée à un membre du Clergé pour "usage d'une monture dans l'enceinte de la ville et mise en danger d'autrui par conduite dangereuse de cette dernière". Il y avait le nom, et même une vague note rédigée à la hâte pour témoigner d'une circonstance atténuante : "affaires urgentes Clergé - monastère. Demander Vulpinar". Elle resta pantoise face à cela. Donc elle était bien née à Citria, avait bien été prise en charge et abandonnée à son sort. Le nom de la Mère Supérieure apparaissait dans les archives la nuit de sa naissance, ça ne pouvait pas être une coïncidence. Elle tourna la tête vers l'extérieur ; le soleil pointait déjà très haut, elle avait passé la nuit à se creuser les cernes en épluchant des dossiers administratifs insipides. Le bruit d'une clé tournée dans la serrure de la trappe lui indiqua qu'il fallait se hâter de sortir. Ni une ni deux, elle arracha la page du registre et l'enfouit dans un repli de sa tunique avant de courir vers la lucarne. A califourchon sur le cadre de la minuscule fenêtre en œil de bœuf, elle jeta un dernier regard à tout le désordre qu'elle avait laissé : des livres énormes jonchaient le sol, des notes, des papiers affichés sur les rayons... Elle plaignait celui qui allait devoir ranger tout ça et consigner le tout.
Elle suivit le même chemin que pour son ascension mais dans l'autre sens avant de glisser discrètement au dehors de la bibliothèque. Elle avait le nom de celui qui l'avait livrée au monastère et il pourrait sans doute la mener à ceux qui l'avaient mise au monde. Il était temps qu'elle rencontre ses géniteurs.
Les jours suivants, on dit l'avoir vue intégrer une flotte de navires marchands parcourant les mers pour vendre marchandise et servir de transport. L'un des bateaux avait mystérieusement disparu un jour de tempête en voguant vers l'Ouest. Sans grande surprise, il s'agissait du navire sur lequel Keldo avait embarqué. Elle ne savait pas ce qu'elle allait découvrir ni si elle pourrait revenir un jour, mais elle n'oublierait pas tous les événements ni les rencontres qui l'avaient menées sur cette voie.
hrp:
A la prochaine... ?
Compte à suprimer, Oromis Lorgex, Kardar, Ingra Lorgex, Kardar, Vyrsshir Saths, Drakan et Ekatereliae, Nargolith aiment ce message