Histoire de sang

Les mois et les années s’étaient succédé, recluse dans cette petite chaumière au fond de la forêt, au nord de Sombrum, Niryn n’avait pas bougé de son lit, triste et silencieuse. Elle fut rejointe tardivement par un nargolith dont la jeunesse était aussi palpable que la sienne.

-         Tout s’est bien passé? s’enquit-il en ouvrant la porte.

La jeune femme hochera plusieurs fois, sans émettre un seul son. Elle n’avait osé croiser son regard, préférant échouer celui-ci contre les flammes du foyer. Sa lèvre tremblait, mais les larmes demeuraient cloîtrées derrière les murailles de ses paupières.

Il s’approcha d’elle, posa les genoux au sol et admira les traits de son visage.

-         Nous savons que c’est pour le mieux, Niryn. C’était nécessaire. Dit-il froidement.

La jeune femme le savait bien, mais une partie de son cœur était resté là-bas, avec lui. Elle garderait précieusement le souvenir de son regard pétillant de malice, ses sourires en coin teintés d’arrogance et de ses petites mains qui adoraient venir se glisser dans ses longs cheveux blancs.

Son mutisme avait inquiété le jeune homme qui caressait son avant-bras avec douceur. Elle dérouta ses mires violacées vers lui, puis s’humecta les lèvres, prête à tout raconter.

-         Lui et moi sommes descendus les marches de Sombrum Dalan avec empressement. Dans mon esprit, j’ai eu l’impression de dévaler au moins…au moins 1000 marches, même si en réalité, elles se comptaient sur les doigts de nos mains.
Je me souviens de son juvénile visage qui ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, tout allait si vite. Il tentait de suivre mon pas de ses courtes jambes, démuni d'explications. Mon cœur se brisait déjà en mille morceaux.

La guide nous attendait au seuil du temple, confiante à en dérouter n’importe quelle panique. Je n’ai pas réussi à cacher ma détresse, mais elle n’en fit aucune mention, habituée à cette situation.

Je ne me suis pas attardée, je lui ai remis la main de l’enfant et j’ai tourné les talons sans regarder en arrière. J’avais peur de changer d’idée.

J’entends encore sa petite voix crier maman…

Sous les regards de l'enfant d'à peine quelques années, Niryn remontait les marches d'un pas lourd, laissant entendre à chaque escalade un sinistre echo en Sombrum'Dalan, rajoutant à ce qui semblait, dans le moment, être un tragique événement. Jamais elle n'avait regardé derrière.

Le jeune Kilath l'avait interpellé, à quelques reprises. Il avait même crier. Trop jeune pour bien saisir ce qu'il se passait, il savait quand même que quelque chose se tramait. Il comprenait, de sa perspicacité de jouvenceau, que sa mère ne reviendrait pas. Seulement, jusqu'à quand? Des yeux humidifiés de larmes de panique et d'incompréhension, il observait sa géniteur s'éloigner avec sa petite peluche lui servant de compagnon généralement dans les moments de détresse. Non, la Guide ne tolérerait pas de biens personnels. Telle était la coutûme. Les souvenirs de l'ancienne vie s'arrêtaient maintenant. Du moins, ceux qui risqueraient de provoquer nostalgie. Car la nostalgie était un signe de faiblesse.

- Allez viens, Kilath. Réjouis-toi, c'est ici que ta vie commence, avait lancé la Guide d'un ton bienveillant, doux et attentionné. Je vais te montrer tes quartiers.

Un jeune Nargolith sans mot, pris de panique visiblement, raidi par une méfiance qu'il ne réussissait pas à exprimer dû à sa vulnérabilité de -trop jeune- enfant se laissant guidé machinalement, dans un état second, par la main de la guide derrière sa petite tête. Il marchait dans cet endroit sombre, apeuré certainement, mais surtout impressioné, le regard grand devant l'immensité de l'endroit. L'architecture sous-terraine de Sombrum'Dalan, combiné avec l'ambiance de l'endroit, avaient ce pouvoir, celui de glacer le sang. Les cris retentissaient au loin. La petite main de Kilath se bouchait maladroitement une oreille tandis qu'il se laissait guider par la Nargolith ecclésiaste, les yeux un rien ouvert, histoire de jauger où il mettait les pieds, tout en tentant de contrôler ce qui allait vraisemblablement devenir source de cauchemars pour les nuits à venir.

Ils arrivèrent aux-dits quartiers. Plusieurs lits en rang, proprement faits. Le mobilier sombre, minimaliste, immaculé de toute saleté. Une pièce sans chaleur. Le petit s'était assis au pied de l'un d'eux, celui que la Guide lui avait froidement désigné du doigt.

- Où est maman? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal?, avait-il lancé d'une voix hésitante, chancelante.