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 Vivre et mourir, en quelques actes

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Nox, Mortanyss

Nox, Mortanyss


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MessageSujet: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyLun 19 Oct - 18:23

Mise en scène


- Mais que vous est-il arrivé, Caśntra?


Le ton était doux, compréhensif, mais chargé de mille reproches non-dits. La robe de la dame à la peau d’ivoire était boueuse, des herbes folles s’étaient coincées dans les broderies délicates qui l’ourlaient, et son velours sombre s’était fait éponge. La robe gorgée d’eau répandait une flaque disgracieuse dans le hall d’entrée, assombrissant la pierre aux pieds de celle qui la portait.

Anticipant ce reproche, le devinant, la dame Leinth vint simplement rétorquer, pour initier cette conversation :

- Par la grâce de la Mère, ma présence sait s’éclipser. Personne ne m’a vue rentrer dans cet état.  

Si sa peau de marbre aurait pu porter la trace de la lividité, sans doute son époux aurait-il vu qu’il y avait davantage à cette triste allure qu’une piètre déconvenue, qu’une maladresse. Il s’approcha, rasséréné par les dernières paroles, avant de se figer. Sur le velours sombre, une tache plus sombre encore. Un peu de sang, les traces de blessures et d’estafilades, que la robe encombrante dissimulaient. Dans le regard de son épouse, une ombre vague, celle que portaient les survivants. Elle n’avait pas parlé et pourtant il devinait.

- Qui a tenté d’attenter à votre vie? Et comment?
- Je l’ignore. Pour l’instant. Quant au comment…


Elle humecta ses lèvres. Il ne lui était pas coutume, de tant parler, et le récit qui s’en venait prendrait du temps.

- Les chemins tortueux que j’emprunte, dans la tourbière qui étend son empire entre la Sombre et Mortancia, pour cueillir les fleurs qu’il me faut et plus encore. Le chemin a cédé sous mes pieds, quand je le connais par cœur. Je sais, quel pont de végétation est sûr, et lequel est trompeur. Je sais, le chemin me tiendra au-dessus du marasme, ou m’entrainerait par le fond. C’était un piège, cela j’en suis sûre. J’ai vu l’abime des eaux noires, et en vain je tentai de me raccrocher à la tourbe flottante. Un jeune homme m’a extirpée du bourbier, quand je pensais venir la fin, et qu’encore je cherchais à nager, sans être emportée sous les herbes, étouffée des miasmes du marécage.

Près d’elle, Phersu, son époux, semblait écouter avec toutes les attentions du monde. En vérité, il observait, analysait, chacune des mimiques de sa conjointe. Son nez s’était un rien froncé. L’odeur de tourbe envahissait la pièce. Mais c’était peut-être la déception de savoir que celle à qui il s’était liée était tombée en un piège pareil, qui se trouvait à le déranger.

- Un jeune homme m’a sauvé, en me tirant du marasme. Il… ne devait pas faire ses cinquante ans. Il m’a dit s’appeler Rhadamanthys, lorsque je le lui ai demandé. Voir un individu si… jeune. Si loin de la sûreté de ses propres murs… incite à toutes les questions. Je pense qu’il est la meilleure piste, pour dénicher le responsable de ce piège. Il a peut-être été placé là, en attente que la tourbe ne cède sous mon poids, pour acquérir au nom des siens une récompense. J’ai cru bon de l’inviter en meah ici, demain, aussi gorgée de reconnaissance que ma robe en est d’eau pour nos… musis. Nous verrons mieux avec le recul de quoi il retourne, et pourrons analyser la situation comme le jeune homme en question. Jiu?

Le masque de Phersu laissa transparaître un peu de satisfaction. Enfin une bonne nouvelle, lui semblait-il. Une piste sur laquelle le maitre des ombres pourrait se lancer. Si, effectivement, le jeune homme se présentait au logis le lendemain, ingénu ou pas, il saurait aller au fond de l’affaire. Et user de lui pour trouver ceux qui avaient attenté à la vie de celle qui portait son nom.

- C’est excellent, douce meah. Notez bien, désormais… Il ne faut plus sortir. Plus en votre état. Vous êtes dépositaire de l’avenir de notre lignée, et de notre sang… du moins en partie, après tout.

Et tout en douceur, il posa une main délicate sur ce ventre renflé, que l’ample robe de velours dissimulait. Caśntra Leinth attendait leur troisième enfant. Cet enfant qui était voué à n’être qu’un outil, si ses ainées se démarquaient ainsi que Phersu l’espérait. Sa perte n’aurait pas été si dramatique, mais… Ce trio d’enfants au logis des Leinth promettait des querelles larvées et peut-être fratricides qui formeraient ces derniers à la vie politique de la Sombre. Et de la sorte, Phersu espérait voir son sang fleurir et il escomptait au moins lâcher sur la Sombre une extension décente à sa propre lignée, qu’il jugeait émérite en tout. Mais si l’enfant était morte en son ventre, il n’en aurait pas fait grand cas, car elle aurait prouvé d’office être indigne de ce nom qu’il lui aurait légué. Dans cette décision de préserver son épouse de la vie publique, on pouvait plutôt lire une punition qu’il lui réservait d’avoir failli à la plus élémentaire des prévenances.

- Vous devez être fort émotionnée, de toute cette histoire ainsi je vous conjure. Prenez un peu de repos. Je vous ferai porter une infusion, et des vêtements chauds, pour accompagner ce bain que vous vous apprêtez à prendre.

Il lui offrit un sourire rassurant, teinté du miel de la douceur. Frissonnante, tant de son état que de son renvoi, elle offrit ses musis et s’en fut, en arborant un masque reconnaissant qui cachait son tourment.

Avant d’aller vaquer à ses affaires, Phersu prit un mouchoir pour chasser de sa main toute goutte d’eau trouble. Il lui fallait songer aux éventualités et se préparer, car le lendemain arriverait vite.

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Nox, Mortanyss

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyLun 26 Oct - 13:38

Acte I

À son arrivée, Rhadamantys avait tout de suite été séduit par les lieux. Bien sûr, il n’en laisserait rien voir à ses hôtes. Suivant le majordome à l’emploi de la famille Leinth, tous les deux avaient emprunté le petit sentier menant vers la résidence, située à plus d’une vingtaine de mètres d’eux.

De l’extérieur, il est difficile de ne pas trouver l’endroit magnifique. La demeure semble avoir été construite à l’aide de pierres sombres et des décorations en bois d’acajou, gravées des armoiries familiales, ornent symétriquement les murs de la maison. De grandes fenêtres voudraient bien laisser entrer la lumière mais, un obscure voile tamise chacune d’elles.

Le toit est bas et arrondi, recouvert de bardeaux de bois de qualité. Deux petites cheminées sont assises de chaque côté de la maison et expirent, à l’unisson, la fumée d’un feu bien portant. L’endroit est entouré d’un modeste jardin, où la cuisinière cueille chaque jour les denrées nécessaires à ses plats. Son contour est fait d’herbe et de quelques petits arbres propres aux comtés de Sombrum, ceux-ci marqués par les griffes des chats environnants se partageant le territoire.

Cette vue avait su inspirer bien des gens déjà mais, lorsque l’épaisse porte s’ouvrit, ce fut un tout autre spectacle. Des cris stridents, faisants leur ascension en provenance de ce qui semblait être la porte menant au sous-sol, avaient de quoi donner la chaire de poule aux gens de plus petites fortitudes.

Sans le moindre regard pour l’invité, le majordome s’aventura en direction des obscures escaliers, gisant derrière une épaisse porte métallique qu’il ouvrit et, d’un geste insistant, invita Rhadamantys à y descendre. L’hésitation prônait dans le regard qu’il adressa alors à l’homme de main, employé par l’hôte des lieux. Le déglutissement difficile du jeune Nargolith qui se fit entendre, malgré lui, vint également trahir l’état consterné dans lequel il se trouvait.

La voix masculine semblait s’écorcher, au gré des cris poussés, et venait s’accentuer graduellement lors de la descente au sous-sol. Les murs étaient couverts de pierres noires et celles-ci semblaient presque absorber la lumière émanant de la torche qu’avait allumé celui menant la marche.

Pas d'anthaes... et de sa pensée, Phersu se gardait de dire le fond.

- Ainsi que nous l'avions dit et prescrit, nous vous devons nos musis. Musis, de mettre en lumière une situation intéressante, des ambitions nues. Les vôtres? Celles de vos compères? Cela... je veux le déterminer. J'ai l'intime conviction que vous pourrez nous aider. Pouvons-nous compter sur vous?

La question avait tant d'implications. Le jeune homme n'hésita pas. Sentant qu'il ne le pouvait pas, en disant un simple, faible, jiu. Mais au fond de son ventre, un poids. Il savait qu'il avait mis un doigt dans un engrenage odieux. Des gens avaient pensé user de sa candeur, pour atteindre Phersu Leinth en son ascension face au Château. Parer d'une tache l'homme à la réputation aussi immaculée que sa personne. Un excès de soin pour son épouse était un piège. N'avoir pu la protéger, un autre. Être redevable à quelqu'un hors de son clan rapproché, un autre. L'adolescent avait servi au maître de maison une situation épineuse, et cela lui valait un courroux qu'il sentait, voilé sous le masque affable, la réception d'une relative cordialité, les paroles presque mielleuses. Les cris lointains des sous-sols évoquaient ce qui pouvait l'attendre. Et ils comptaient dans la mise en scène de Phersu.

Sur la table, Phersu Leinth fit glisser une écorchette de Sombralir, une dague si ornée qu'elle semblait d'apparat. Mais son tranchant effilé ne mentait pas.

- Réglez cette affaire. Rhadamantys. Prouvez votre efficacité, au nom de la famille Leinth. Si vous le faites, vous gagnerez un nom une fois votre apprentissage et votre service terminé, je me porterai garant.

Le jeune Rhadamantys tressaillit. Incertain, en sa jeunesse une nouvelle fois, des implications. L'adopterait-il, s'il prouvait son talent. Improbable, puisque Phersu Leinth était dit de reconnaître la valeur du sang comme de l'excellence en part égale. Il avait certainement autre chose en tête.

C'est hanté davantage par le sort que pouvait réserver Phersu Leinth à ce nouvel obligé qu'il était devenu, que par la peur de ses alliés d'hier, que le prodige adolescent régla leur sort. Il vint occire ceux-là sans penser à autre chose qu'au sien propre, peut-être plus radieux, ou peut-être plus funeste, que le sort de ceux qu'il venait de laisser égorgés.

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyLun 26 Oct - 13:48

Acte II

C’était un soir d’éclipse. C’était un soir dédié à la Sainte-Lune, une nuit d’obscur absolu. Un soir attendu, par les enfants et protégés de la maison Leinth, pour des raisons différentes.

Eileithyia se tenait dans le cadre de la porte, parée de plus d’arrogance fière que de tissu, tant les voiles de soie diaphane de sa robe révélaient de sa personne, et qui se mêlaient même à des ailes discrètes qui lui servaient de cape. L’ainée des Leinth était ainsi. Elle aimait être vue. Parangon d’élégance indécente, elle toisait les deux jeunes gens, en minaudant.

- Vous serez en retard, pour l’Éclipse. Les ténèbres absolues, sur la Grand-Place près du théâtre. Tout peut arriver. C’est si… excitant. Enivrant, même.

Le jeune homme à la musculature sèche, Rhadamantys, n’avait d’yeux que pour une jeune adolescente devant lui. Un peu plus qu’une enfant, mais loin d’être femme. Vanth était loin d’être tout l’étalage de féminité que sa sœur ainée exposait à l’orée de la salle d’entrainement. Tout l’être d’Eileithyia était une provocation rieuse, flamboyante. Elle se voulait main de fer des Leinth dans le gant de velours, au paroxysme de la séduction. La petite Nargolith eut pour son ainée un regard qui voilait mal son dédain : elle la trouvait vulgaire.

- Nous arriverons en temps. Il nous faut parachever notre séance d’entrainement.

Coupa le jeune homme, bien platement. Il l’avait jaugé sans émoi, ou avec des émois qu’il avait appris à cacher.

- Oh, je ne vous parlais pas. Majordome. Je parlais à ma sœur!

Corrigea-t-elle, mutine et douceureuse. La gamine entrouvrit les lèvres, avec l’envie d’un coup d’estoc. Cette envie de dire que les atours que son ainée arborait ne feraient envie qu’au gorlak qui trainait, qu’elle donnait l’impression, peut-être à raison, que sur elle toute la Sombre, femmes, hommes et bêtes confondus, pouvait bien passer. Le maitre d’arme profita de l’instant d’inattention pour une parade, distrayant la cadette de sa verte répartie. C’était sa manière de l’exhorter à la prudence. De la sommer de garder son venin pour plus tard.

Avec un soupir aussi exagéré qu’exaspéré, la toute belle tourna les talons faute d’une réponse, voyant sa sœur et son mentor absorbés, dans la danse de leurs lames. Il était pour cette famille un peu tout maintenant : un serviteur, un dévoyé, un promis au nom des Leinth. Ce nom qui n’était prestigieux que pour certains, rares et choisis. Phersu, maintenant devenu Éxécuteur du Château, tirait crédit, tout le crédit du monde, de la phrase : « J’ignore qui est Phersu Leinth », lorsqu’elle tombait de la bouche des ingénus. Nul ne pouvait savoir ce qu’il faisait, et comme dévoyé du Château il gardait des secrets immenses, au prix de tant de sacrifices. Rhadamantys connaissait son privilège. Lui qui était né de peu, et s’était hissé insidieusement, s’était vu offrir la possibilité de gagner un nom de prestige, au fil de sa lame et de ses talents que l’Éxécuteur reconnaissait pour être hors normes. Avant de ne pouvoir plus parler, avant de se trouver un homme transformé par les desseins du Château, Phersu avait tant appris à son protégé…

La gamine, Vanth, aurait pu médire cent fois, mais elle était consacrée à ses assauts. Calculant quand frapper. Il prévenait chaque attaque, précis, sans suer seulement quand la petite peinait à suivre le rythme, se frustrant presque de tant de revers. Il était temps d’adopter une autre stratégie.

- Elle ne supporte pas votre indifférence.
- Elle ne supporte pas ma naissance. C’est différent.
- Êtes-vous vraiment, mais vraiment, indifférent?

Le jeune Nargolith se prit à penser, pris d’une soudaine gêne. Le sujet était glissant. Penser seulement toucher un cheveu de l’ainée des Leinth pouvait causer bien du tracas. Elle était de sang pur malgré sa difformité nébulixe, un fer de lance et une déception pour l’honorable lignée tout à la fois. Les listes des raisons pour ne pas vouloir la toucher, ou tout au contraire vouloir la toucher, étaient bien longues. Et en cette demeure ou les murs avaient des oreilles, y penser seulement pouvait lui attirer des ennuis. Et pour un jeune homme comme lui, dont les leçons d’anatomie se limitaient à l’art et la manière d’étrangler un homme avec ses propres viscères, le sujet vint tout de même susciter quelque trouble et gêne : car aucune réponse ne semblait bonne à cette question, et comme un chat sur un plancher huilé il patinait intellectuellement et s’embrouillait les pattes.

Et pendant qu’il pensait, l’adolescente put enfin porter un coup. Puis elle n’attendit pas de réponse à la question. Franchement, elle n’en espérait pas, ni n’en voulait pas.

Il n’y avait pas de petites victoires, et elle avait usé des quelques moyens mis à disposition par la Mère pour prendre à revers son adversaire. Son maitre d’armes n’en attendait pas moins, elle le savait.

Il lui offrit son bras, amusé alors.

- La nuit, et l’éclipse nous attendent. Vous faut-il passer une robe pareille à celle de votre sœur?
- Plutôt mourir.

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyVen 30 Oct - 19:28

Acte III

La jeune Vanth allait et venait, ce jour-là, dans les couloirs aux lattes d’acajou de la demeure des Leinth. Elle ordonnait aux domestiques déjà en effervescence. Ses commandes semblaient étranges. Presque erratiques.

« Placez plusieurs seaux d’eau remplis dans le coin de la chambre de Selvans, et qu’un valet de chambre soit présent à la 21e chandelle passée. Disposez dans la chambre d’Eile’ deux seaux vides, un bassin d’eau claire, des savons, parfums et beaucoup de serviettes, au plus preste. Et quelques tenues de rechange. »

Dans sa propre chambre comme en celle de Rhadamantys, elle avait mis sous clef sa propre armurerie, et avait disposé sur sa table de chevet autant de contre-poisons qu’elle avait pu dénicher, la petite collection qu’elle s’était constituée durant l’année.

C’était un jour rare. L’Exécuteur Phersu ne visitait pas son foyer souvent, seulement une fois l’an désormais : les devoirs du Château étaient prenants, et il leur était dévoué de toute son âme, de tout son être.

Ainsi, la maison était en branle-bas de combat en feignant de respecter son ordinaire. Chaque visite suivait le même ballet, avec une précision millimétrique. Et la présence de l’Exécuteur semblait vider l’air d’une pièce où il se trouvait, car il n’était plus désormais que l’homme, ou que le père. Caśntra accueillait de ses charmes et de ses bons mots la coquille de celui qu’elle avait autrefois épousé, transfiguré par ce que lui avait imposé le Château, ses infinies tortures destinées à prouver encore et encore l’absolu de sa Loyauté. Sans un mot, il répliquait : faute d’une langue, il laissait sa gestuelle parler, de mœurs codifiées. De regards, de signes, de ces choses acquises et apprises, encore, ils pouvaient se lire et se comprendre. S’ensuivait un repas. Caśntra y énonçait les nouvelles de l’année, bonnes et mauvaises, dressant un bilan devant une table garnie de plats fastueux que l’Exécuteur, faute d’une langue, touchait à peine et sans appétit, mangeant par obligation plus que par délectation. Il examinait ses enfants, ce faisant, les jaugeant un à un. Ceux de sang, comme Eileithyia l’Ailée, Selvans la tête brûlée, Vanth la cadette. Et celui choisi, comme Rhadamantys l’Héritier. Les plats étaient servis à la convenance de l’Exécuteur, en ce repas si infini qu’il tenait du supplice. Les silences pesaient, pendant que la tablée était soupesée, les acquis et les déboires pesant dans la balance, qui établissait la dignité et l’indignité.

Puis, comme chaque année, Eileithyia risquerait un mot, celui de trop, en son coutumier outrage de corps et de raison. Par inconscience, ou par provocation. Peu après, elle se précipitait à l’étage, prise d’un malaise.

Avant le crépuscule, Selvans aurait tôt fait de suivre. Le feu qui brûlait en lui était trop fort pour être atténué. Que ce fut le cas d’un coup pendable révélé, de préjudice survenus dans l’année, ou d’une flambée d’impatience de fin de soirée. Fiévreux et suant à grosses gouttes, il montait à son tour, le soleil à peine couché.  

Rhadamantys et Vanth, pour rester aux petites heures, se donnaient le change. Lui, par l’absolu de sa discipline, la régalité qui lui avait été acquise de son entraînement. Elle, par l’esprit de compétition, l’avidité de se prouver, la soif d’ascension. Mais avant le petit jour, quand le récit sur leurs progrès et acquis s’était tari, leur vision se troublait, et il leur fallait se hisser l’un comme l’autre vers l’étage, les jambes cotonneuses et le regard plissé, pris d’une ivresse que le vin n’expliquait pas.

Claquemurée dans sa chambre, Eileithyia rendait depuis des heures tripes et boyaux, payant le prix de ses vanités et ses arrogances de l’an passé au prix de l’humiliation qui mettait l’immortelle le nez dans l’imperfection de sa propre enveloppe charnelle. Les sons odieux émergeant de sous la porte marquaient l’interdit de franchir son seuil, jusqu’à ce que l’horreur fut passée. Grâce à la prévenance de Vanth, son humiliation demeurait privée.

En terrible fièvre, Selvans roulait en son lit, le corps en feu au sens propre et figuré. Ses dons dont il abusait n’étaient plus contenus par rien, dans son délire il feulait des incantations ou le « Flam » était récurrent, et ce faisant, il menaçait d’embraser le matelas et sa chambre entière. Si ce n’était ce laquais qui arrosait son jeune maître à plein seaux, sporadiquement, quand sa literie commençait à fumer. Grâce à la prévenance de Vanth, le second fils des Leinth ne payait pas du prix le plus fort son manque de contrôle de ses colères et de ses élans.

Et dans les miettes restantes de la nuit, Rhadamantys et Vanth perdaient l’empire sur eux-mêmes. Il s’agirait d’une autre nuit ou les antipoisons resteraient intouchés. Ou l’armurerie seraient rouverte Nasticia seule savait comment. Une nuit dont ils reprendraient leurs esprits le crâne douloureux, peut-être blessés, peut-être couverts du sang d’autrui, peut-être indécents et surtout, dans les bras l’un de l’autre. Phersu les mettait ainsi devant leur propre faillibilité. Il restait encore à Vanth, stratège officieuse des enfants des Leinth, de trouver parade efficace.

Pour chacun de ses enfants, Phersu Leinth avait un poison pour châtier et éduquer, qu’en son administration le sang se purifie, que l’âme se transmute en quelque sinistre alchimie, pour façonner ceux de son nom à l’image de ses espérances. Et en ses visites, il était prolixe d’éducation. Au jour où ses enfants atteindraient ces espoirs non-dits qu’il semblait couvés, il les laisserait piéter la Sombre et y faire valoir son nom. Et pour cela, il faudrait attendre encore au moins une autre année.

Ils seraient jaugés prêts, sans doute, lorsqu’ils seraient en mesure de résister à ces insidieuses visites et au poison, réel et figuré, qu’elles semblaient comporter. Entretemps, il leur fallait compter sur leur fraternité.

La fraternité. Qu’est-ce que la fraternité, en une famille Nargolith bien sous tous rapports? La question pouvait bien se poser. Ses réponses étaient plurielles, si nombreuses qu’elles ne pouvaient pas toutes se compter.

Ils pouvaient être ennemis, rivaux.

Ils pouvaient être complémentaires.

Ils pouvaient s’être redevables, et nécessaires.

Ils étaient après tout, part de ce Nous, de cette tapisserie qui faisaient Sombrum. Et en vase clos, dans le domicile familial, ils s’entrainaient à être ce que la Sombre voudrait.

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyLun 14 Déc - 16:23

Acte Final


La nuit était encore dense, dès lors que la jeune Nargolith posa pied en dehors du bâtiment baronnial, érigé en dehors de la cité. Celui pour lequel elle avait trimé si dur, dont elle avait confié charge d’intendance à la Virtuose Voltora au crépuscule, il y avait quelques heures encore.

Elle avait rédigé quelques lettres, mandé ses messagers. À présent seule, l’heure tournait, et il lui fallait se reposer. Recluse, elle avait pris le temps d’écrire, de penser. De rêver, peut-être un peu.

Dans le boisé clairsemé voisin, une présence, tapie dans l’ombre. Elle posa la main sur son grimoire, parée à toute éventualité. Puis elle le reconnut. C’était une présence familière. Amie. Et même plus. Elle abaissa sa garde. Après tout, elle lui faisait confiance.

Il s’approcha d’elle, tandis qu’elle rivait ses prunelles d’argent sur les siennes, d’un entier noir de jais. Ainsi, leur regard forma l’éclipse. Celui pourtant familier cherchant son souffle, peut-être ses mots.

Leur échange ne vint pas d’une parole. Il fut près d’elle. Elle sentit au creux de ses côtes une morsure. Celle de la dague. Celle qui, en toute ironie, elle lui avait offerte. Cette lame de boréale vouée à la représenter. Il ne lui sembla pas avoir de parole, dès lors qu’il lisait de son regard, en son agonie, l’incompréhension, la douleur, et surtout le courroux.

C’était donc ça, la mort?

De se demander celle qui l’avait si longtemps côtoyé, passeuse de bien des façons. Semeuse de mort d’abord, et puis enfin, de résurrections.

***

Son meurtrier lui, affichait cette expression de glaciale indifférence. Tandis qu’il condamnait la partenaire de cette ultime danse à l’oubli, car c’était bien cela la mort au sein du peuple de l’ombre, lui-même trouvait ce qu’il cherchait : la libération.

Le poison faisait lentement effet. Laissant place, à l’absolu de l’agonie, la vivisection auquel le Lieutenant Noir se livrait. Elle lui avait offert son cœur. Elle en payait désormais le prix. Littéralement de ce ventre ouvert, au prix du sang dont il chérissait à l’infini la valeur.

Sous les côtes, cette main avide avait fait son chemin, pour arracher cet organe offert, ce cœur qui lui avait appartenu.  

Une dernière fois.

Laisserait-elle seulement derrière elle autre chose que l'oubli?

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyMer 27 Jan - 12:41

C'est dans une fosse peu profonde que le rideau s'était levé, encore. La pièce qu'était la vie s'était achevée. Son public, plus ou moins engagé, dissipé. Sur cette scène qui n'en était pas une, seule, elle s'était retrouvée.

Elle avait écarté la terre meuble de cette fosse cendreuse et peu profonde. Ses restes protestant, seuls, contre cet indigne tombeau.

De sa chair friable, rongée par la flamme de la crémation, elle laissait sur son passage sillon de suie, trace ténébreuse sur les chemins sinueux qui la mèneraient vers cette montagne qui l'appelait, dans la confusion brumeuse de la renaissance.

Tout au fil du chemin, les nuées de corbeaux semblaient se densifier dans les cieux, la rassurer. Car elle était née sous le signe de la douloureuse confusion.

Nul son ne franchit ses lèvres. Lorsque cette zombie calcinée et tremblante franchit les hautes arches de la nécropole pour s'enfoncer dans le ventre de la terre, les corbeaux parlèrent pour elle.

Dans l'abime de la grotte, tandis que le noir de sa peau se craquelait pour laisser voir le grenat nécrosé, par-delà la suie, que son être frigorifié s'animait de douleurs qu'elle ne s'expliquait pas, d'une absence qui lui était étrangère. Sa progression se faisait sous le signe de la douleur. Elle revivait cet organe arraché, sa crémation sans pouvoir parler ou bouger, autant de cauchemars éveillés... mais nul son ne franchit ses lèvres. Les corbeaux croassèrent pour elle, de ses douleurs et tourments.

Lorsqu'enfin la dernière parcelle de chair était tombée, laissant à nu les os du squelette, l'apparente libération qui signifiait l'épanouissement, la jeune mortane restait pourtant solitaire, et tourmentée, dans ce silence involontaire ou elle était claquemurée. Son ascension se poursuivait sous le signe du doute. Au-delà de la douleur, elle prenait parfois le temps de penser, rêver, imaginer, ce qu'elle avait bien pu être et la nature de Sa volonté. De ces doutes, que les plus anciens qu'elle avaient déjà levé. L'incertitude sur sa propre nature piquait parfois autant, sinon plus, que la douleur physique. Pourtant en ces contemplations, nul son ne franchit ses lèvres. Ce songe ingénu et douloureux, le ressac du passé inconnu qui n'avait pas été, les corbeaux le chantaient pour elle.

Puis dans l'absolu du froid, dans la complète nudité de ses os, elle avait cherché pour se couvrir le voile d'un suaire, un semblant de masque. Venait avec la lucidité la conscience, et la gêne de sa forme, la conscience de son imperfection qui lui apparaissait crument. Sa continuité de son être se faisait sous le signe de la honte. La cape qu'elle avait choisi ne masquait pourtant pas sa nature mortifère. Dans le désarroi de la mise à nu, du dénuement, de l'existence sans masque, nul son ne franchit ses lèvres. Elle laissa les corbeaux le crier pour elle.

Peu à peu ces os malmenés furent essamés sur son passage, remplacé par brumeux éther, dense comme sa morosité. Opaque, comme son silence. Elle s'abandonnait, sous le signe de la mélancolie, oscillant entre colère vengeresse sans cible, et chagrin sans objet. Lui manquait un but, une raison d'être. De cette introspection, de cette solitude presque douloureuse, aucun son ne franchit ses lèvres. Elle en laissa aux corbeaux la complainte.

Et vint enfin un matin ou elle laissa ses os derrière elle, offrande au temple, dernier relief de cette enveloppe charnelle qu'elle avait chérie et soignée. Elle éprouva une étrange forme de soulagement. Désincarnée, rendue pur esprit, fallait-il que sans entrave puisse s'exprimer justement cet esprit agile. Dans cette ultime consécration, elle essaya d'exprimer sa joie. Le silence s'ensuivant la surprit elle-même. Son élévation se poursuivait, sous signe de la déception. Lakkak ne lui avait toujours pas rendu sa voix. Malgré cette ascension, malgré la découverte d'un dessein et de révélations en cet absolu du silence, elle était incomplète. Il lui manquait quelque chose, mais quoi? Et ou encore, était retenue sa voix? Lakkak en avait-il, pour ses propres desseins, l'usage? Elle ne savait pas.


Elle contempla les grands oiseaux aux couleurs de ténèbres s'envoler vers le sud, au-delà des grands cyprès des marais, pour peut-être percer ce mystère. Elle glissa le bout de ses doigts d'éther sur un pendentif qui se raccrochait encore entre ses clavicules, seul relief d'une ancienne vie dont elle ignorait tout. En songe, elle eut une prière, que le corbeau réverbéra de croassements de plus en plus lointain.

Ces corbeaux qui se faisaient sa voix, portaient-ils avec eux des espoirs, des rêves, ou des cauchemars? Portaient-ils seulement les trois? Dans cette réflexion, elle se fit, et demeura silencieuse.


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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyJeu 4 Mar - 20:43

Une main éthérée parcourait le parchemin de fortune qu'elle avait choisi ce jour là.

La théologienne mortane était à l'oeuvre.

Installée sous la ramée. Au clapotis de la rivière avoisinante.

Le portrait aurait pu être bucolique, s'il n'était pas tissé d'horreur mortancienne. Les branches de la ramée étaient nues et mortes. La rivière paresseuse était toute de sang.

Ce n'était pas dans la pénombre enveloppante que son être spectral sévissait, mais au grand jour cette fois. À l'orée de bois qui en des temps anciens, furent peut-être invitants... avant d'être victimes de leur propre mortalité et conquis par la nécrose, comme l'avaient été Mortancia et ses parages.

Mortancia, cette ruine, vague souvenir de ce qu'elle avait été autrefois. Énigme à l'histoire éclipsée, au gré de mémoires qui revenaient au compte-goutte. Antique lieu, défi à la mort même, à l'abandon. Symbole des souvenirs égrénés. La taverne en ruine, les bâtiments décatis... qu'avaient-ils été, en leur lointain passé? N'étaient-ils que reliefs, de cette gloire ancienne et oubliée, d'instants d'habitation et... de vie? Ou encore, avaient-ils été ainsi édifiés ainsi morcelés, sur la base de souvenirs incomplets. Par mimétisme, par réminiscence. Cette auberge aux matelas vermoulus, tenue par des mortans pour qui le sommeil était étranger. Cette boucherie à demi effondrée, aux viandes discutables, tenue encore par seul désir de se rappeler le sentiment de satiété.

La cité morte, ses habitants, étaient l'ombre et le rappel lointain de ce qu'ils étaient autrefois.

Deux choses, dans la mort, renaissaient plus vivace encore que dans la vivante carnalité.

L'esprit, et la foi.

Ainsi l'une et l'autre de ces choses, alimentaient la volonté de la muette spectre, tandis qu'elle traçait sans plume et par écrit le fil de ses pensées, "installée" sous les arbres moribonds qui façonnaient la forêt morte.


Citation :
Le temps.

Qu'est-ce que le temps?
Il m'échappe, pour m'être désormais étranger.
Malgré moi j'y pense, pourtant.  
Une seconde, une heure, une éternité, se valent dans l'immortalité.

Le temps, maître inflexible, qui force ses esclaves en sa folle danse
Le temps, soi-disant ennemi qu'on ne peut jamais défaire.
Présomption, mensonge soufflé, ou encore ignorance?

Car moi, je l'ai vaincu, et j'observe sa course effrennée.
Avec douce-amère pitié pour les enchaînés et obéissants
Me rejoindront-ils, leurs yeux ouverts, leurs entraves brisées
Seront-ils soumis, ou seront-ils transcendants?



Pour toute signature, un sablier sans fond. Incomplet, ou brisé. Elle même l'ignorait. La chose était à l'image de ses souvenirs.

La spectre se détacha de son vélin choisi. C'était une silhouette humaine, carcasse d'une victime que la guerre avait faite, que les mortans avaient prise. Un jouet d'un vampire quelconque, qui l'avait bu, puis qui s'en était lassé avant de l'achever. Un corps brisé que la spectre avait gracié d'une seconde vie, faute de partager la magnitude des pouvoirs de son Père. Elle avait usé du dos du cadavre pour vélin, à défaut de papier. Du poinçon d'un simple index griffu, elle avait tracé lettre après lettre dans la chair meurtrie, transmutant le défunt en livre ouvert. Puis, elle avait charcuté d'une petite serpe ce dos nu, roulé le cuir sanglant encore, et l'avait confié au corbeau messager, qui la guidait à ses heures en ses élucubrations.

Las d'attendre, il déploya ses ténébreuses ailes, vers un destinataire égaré, entre vie et mort, qui chaque jour était poussé un peu plus vers cette dernière.

Le volatile porterait ce poème, ses secrets, et son lot de cauchemars vers son récipiendaire.

Car dans le crâne évanescent du spectre, quelques pensées trottaient, vagues bribes pour un meurtrier impuni. Et pour lui, portées par les ailes noires du grand corbeau, autant de sentiments contradictoires et contraires.

Aucun nom ne remontait à son esprit.

Aucun visage ne se dessinait en sa mémoire.

Une seule chose était sûre.

Que les nuits de cet individu, quel qu'il fusse, seraient sans sommeil.

Et que demain serait grandiose.

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyLun 8 Mar - 18:39

Le corbeau était revenu, porteur d'un chrysanthème, que la chaleur, que les intempéries, que le long vol, avaient contribué à faner. Même les symboles de l'immortalité souffraient de leur propre finitude.

Un pétale à la fois, entre pouce et index griffus, elle égréna la fleur comme les amoureuses peuvent le faire, afin de déterminer si les attentions portées sont retournées. Ou comme les enfants à la fois sadiques et curieux écartèlent un insecte, jusqu'à ce qu'il n'en reste que des pièces, et le vague souvenir.

Le jeu d'esprit était lancé, avec cet interlocuteur méconnu, qui, devinait-elle, l'avait occis. Car c'était bien ce qu'elle était, un esprit. Et bien ce que c'était au fond : un jeu. De quoi tromper le mortel, ou immortel ennui. De se faire sa propre justice, ainsi que l'avait fait Lakkak en son temps. Et ainsi, de se rapprocher du divin pour marcher en ses pas.

Les souvenirs se dessinaient parfois, au compte-goutte, faisant irruption quand elle ne les attendait pas. Elle devinait des sens à la végétation, une seconde nature aux fleurs, sans savoirs pourquoi. Des mots se bousculaient dans la tête de la muette, vocables d'un autre temps qui ne franchiraient jamais ses lèvres. Les sporadiques silaie, jiu et anthaes qui laissaient deviner un brin de ses origines. Des sapiences qui se manifestaient, et qui s'éclipsaient, comme l'élusive lune aux mystères.

Ainsi débuta un échange épistolaire incongru, avec un correspondant dont elle ignorait pratiquement tout encore. Avec en tête un but, vaguement élaboré, sur des présomptions, des idées, des échos. Cet objectif d'anéantir celui, ou celle, qui lui avait porté suprême injustice, en utilisant à son encontre son propre hubris. Un fort dangereux hubris. Car d'hubris, elle le (ou la) devinait bouffi(e). Et pour un mortel, qu'y avait-il de plus tentant que l'immortalité, que la divinité. Chose que son meurtrier lui avait offert en partie, bien malgré lui (ou bien malgré elle). Elle entendait retourner la faveur.

Le corbeau revint successivement dans le désert, porteur d'indices, d'objets, qui nourriraient les conclusions assumées, et une folle quête. Comme autant d'indices en un jeu de piste dont la seule issue était pourtant la tombe.

Une branche de cyprès, autre symbole végétal d'immortalité, présenté par le sombre corbeau comme le serait un rameau d'olivier salvateur porté par quelque colombe. La brindille tortueuse serait le rappel des marécages de Sombrum, pan de verdure que peu visitaient sauf ceux avides de partager des secrets. Une piste peut-être, en la Sombre cité ou ses parages.

Un modeste flacon de sang, à l'origine incertaine, mais qui refusait de coaguler. L'ichor même qui coulait dans les rivières mortanes, certainement.

Et une carte céleste, marquant d'une tache cendreuse, l'imminente éclipse qui ferait croiser le fil de deux lunes : Nasticia la mystérieuse, et Endicia la mortifère.

Puis enfin de tout, viendrait un crystal de nox, fidèle compagnon des empoisonneurs... mais aussi des nécromanciens, avides du défi à la mort.

Le jeu était lancé. C'était à savoir, si le mystérieux correspondant relèverait ces indices... et ce qu'il en ferait. L'issue était inéluctable : l'attirer de nouveau vers le lieu de son forfait... ou le guider, doucement, aux limites de sa propre sanité, et sa propre perte. Scellée par son hubris, et la certitude de son imminente immortalité.

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MessageSujet: Re: Vivre et mourir, en quelques actes   Vivre et mourir, en quelques actes EmptyMar 9 Mar - 16:59

Le corbeau émit un croassement véhément, revendiquant l'attention de l'entité spectrale.

Elle s'était décidée à errer, comme elle le faisait souvent, entre Mortancia et Sombrum. La Sombre Cité l'attirait, sans qu'elle ne sut pourquoi. Elle revisitait les lieux silencieux et muets. Les nouvelles élévations, les aménagements complexe, la pierre neuve et ancienne, suscitaient des sursauts d'émotions qu'elle ne s'expliquait pas.

Elle était "banshee". Errance solitaire, infusée de magie nécrotique. Funeste présage, image d'une fin annoncée. Silencieuse pourtant. Toutes les banshees ne crient pas. Même si la souffrance de la solitude, de l'incompréhension, de la confusion, et la dolence de la mort, pousse la plupart aux hurlements.

La forêt de pierre, et l'enclave qui faisait escale avec l'ancienne Luk'Maar, dans laquelle elle avait édifié son cairn-sandwich pour un interlocuteur méconnu, qui en retour avait laissé un petit paquetage, en l'espoir d'une réponse. Un pincement à son coeur dont elle ne disposait plus. Était-ce la même personne? Qui était-il? Qui était-elle? Ce V? Ce B? ... Ce K? Elle se ménageait le temps d'explorer l'arbre des possibles, avant de façonner une réponse.

Dans le silence, elle avait visité la forteresse monolithique d'Ombrenoir et ses parages nouvellement aménagés. En son coeur, une pointe de satisfaction, de fierté illogique : pourquoi éprouvait-elle cette pointe de joie? Elle ne savait pas.

Puis elle avait dérivé vers le vignoble transfiguré. Une pointe de frustration, encore une fois incongrue, face à ce rêve qu'elle ne se souvenait pas avoir eu, désormais déserté.

Les rues désertes de Sombrum avaient contribué à faire remonter en surface, ce sentiment d'inachevé. Des lieux étrangers et familiers défilaient dans sa tête, en miettes de souvenirs, tandis qu'elle y promenait son éther.

Jeux d'esprits chez Méducia, en murmures avec des silhouettes qu'elle n'identifiait pas. Simples souvenirs, dans l'étrange quiétude de la cité des ombres, qui la laissait errante et solitaire.

Cendre soufflée de la tente calcinée, se mêlant à son éther sous l'ardent souffle du vent d'un été imminent, gage d'un mystère étalé à la vue que même les Sombrumois n'avaient peut-être pas percé.

Passage obligé devant les douves, maintenant récurées, et élan de courroux qu'elle ne s'expliquait pas sous l'oeil des Exécuteurs masqués et indifférents, pour cette Sombrum qui se voulait aseptisée maintenant. Une tête nargolith solitaire flottait sur un nénuphar, oubliée par les domestiques chargés de nettoyer l'endroit, comme un pâle nymphéa. Oublié? Ou bien à Sombrum, tout était-il délibéré. Elle se promit de laisser avant de partir un poème flottant comme une fleur, hommage à ce mort qui persistait et signait, oublié des siens de toutes les manières. Puisque Sombrum effaçait ses morts : ils étaient ceux, disait-on, qui avaient échoué, et dont la mémoire n'avait heur de persister.

Recueillement dans le temple de Nasticia, sous le vitrail qui dépeignait Malmoth entre ombre et lumière dans l'aura crépusculaire. Le fils de Derna, mais aussi de Lakkak, ce que les ouailles des landes oubliaient trop souvent. Car même dans le temple de Nasticia, la mort, et son Père, étaient bien présents. Nuance incontournable si tant était, dans la cité qui se voulait peinte de ténèbres.

L'heure des changements. Puis, à la nuit tombée... Examen des demeures baronniales, de la caserne, de la bâtisse de la D.A.C. Étrangères, fermées désormais. Claquemurées, silencieuses. Mortes. Comme elle.

C'est perché sur une crénelure que le corbeau l'arracha à ses réflexions solitaires. À sa patte, un pendentif. Pareil au sien. Pareil à celui qui avait fusionné à son éther. Que le Kardar Brumex n'avait pu lui retirer. À ce bijou, qui palliait à son coeur. De l'améthyste à l'aura verdâtre qui en émanait, du joyau à la chaîne d'argent, tout en semblait semblable. Lorsqu'elle tendit sa main griffue pour récupérer le bijou, elle éprouva pourtant une déferlante d'émotions. Toutes plus puissantes, les unes que les autres. La liesse, le courroux... et la passion. Cette passion qui l'avait désertée, depuis si longtemps. En même temps que le coeur dont elle n'avait jamais été pourvue en sa non-vie.

Elle serra étroitement ce joyau en sa main. Même après son trépas, elle était demeurée entre mort et vie. Familière aux magies naturelles, et nécromantiques. Et ainsi, elle percevait la seconde nature du collier, expliquant le sien même : un phylactère, un fil d'ariane auquel l'âme de celui, ou celle, qui suscitait pareils émois était rattaché.

C'était un moyen de le retracer. De le retrouver. D'influer.

Le corbeau volant en cercle autour de Sombrum, attendant nouveau message, observa la spectre se faufiler chez Rhett. Répétant une manoeuvre si familière de son vivant, une habitude recouvrée désormais dans la mort.

Pour le reste, après tout, il lui faudrait des ingrédients.

Dans la nuit pesante, elle quitta Sombrum en direction de terres plus australes. Son être éthéré fondu dans la pénombre nocturne, son esprit tout dédié à retrouver celui qui, par phylactère interposé, s'était déclaré sa moitié.

L'Éclipse, la rencontre de Nasticia et Endicia, était imminente.

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